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Citations sur Tom est mort (19)

"Je suis enfermée dans un cri rouge et cubique et je me cogne aux parois saignantes, personne ne m'entend. Le cri sort de ma gorge à moi, et celle qui est assise dans le pièce blanche s'étonne : moi, si calme, en train de hurler." ..."Dans la pièce rouge on ne pense pas, on a besoin du cri."
..."Dans la pièce blanche on a honte du cri comme d'un lieu commun, "ce qu'on fait dans ces cas là". Un savoir de toute éternité, de ce savoir des ancêtres et des téléfilms. Je me suis mise à crier, et ensuite, à mon étonnement, le cri a pris ma place. Je suis restée dans la pièce rouge, à me cogner aux murs étranges. Des muqueuses rouges m'avalaient, me dissolvaient. Un petit bourdonnement d'insecte dans une énorme fleur carnivore."
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[Incipit.]

Tom est mort. J'écris cette phrase.

Ça fait dix ans que Tom est mort. Dix ans main­tenant. Mais la date ne s'est pas inscrite au fer rouge, comme on dit. Quand Tom est mort j'étais dans une période où, justement, je ne savais plus très bien quel jour on était. Pour mon mari ce n'est pas pareil. La date s'est inscrite au fer rouge dans sa tête, dit-il. Sa vie a basculé autour de cette date. Moi aussi ma vie a basculé. Mais ce ne sont pas les mots que je dirais.

Par exemple, les dates de mes enfants, de mes autres enfants, il faut que je réfléchisse. J'ai tendance à mélanger, mes enfants sont tous nés au printemps, comme ceux des loutres ou des koalas ou des diables de Tasmanie, ou de beaucoup d'autres animaux, je cite les animaux qui m'intéressent. Mai, juin. La saison des anniversaires. C'est bientôt. J'ai envie d'écrire : si nous sommes encore en vie. C'est une phrase qui me venait souvent après la mort de Tom. Je la disais comme une découverte, pas vraiment stupéfiante, mais comme une évidence que j'ignorais jusque-là. Si nous sommes toujours en vie. Ensuite j'ai dit la phrase par conviction. Je l'ai dite aussi par provocation, je ne la dis plus, ça blesse les gens. Et puis c'est devenu un tic, un tic de pensée, ça terminait mes raisonnements, mes phrases mentales, tous mes projets (les projets étaient revenus. Nous avions découvert ça aussi : que les projets pouvaient revenir, que nous en étions à nouveau capables).

J'ai essayé les thérapies, les groupes de parole, et Tom ne m'a pas été rendu. Même ça : refuser Affaire le deuil, ça fait partie du travail, c'est codifié par des graphiques. Quand on est en deuil, on a du travail, même si on ne veut pas du tout le faire. Pour ça, mon mari était comme moi. Et si je commence ce cahier, c'est peut-être parce que lui et moi on en est au même point maintenant, pour une fois au même point en même temps. Synchrones. C'est lui qui dit ça, nous sommes synchrones. Presque ensemble.

Le deuil qu'ils décrivent est un processus naturel qui me dégoûte. Une digestion. On entre dedans et on avance, qu'on le veuille ou non, comme à travers une série de boyaux. La mort de Tom passe à travers nos corps. On n'a pas fini, je ne dis pas qu'il faut dix ans. Je ne dis rien. Est-ce que je souffre moins qu'avant ? Le plus et le moins, je ne sais pas. Peut-être que je souffre moins souvent. La mort de Tom est une bête qui relève la tête de temps en temps, un dragon avec des soubresauts, et la terre se soulève, sa tête se dresse. Une géographie créée par une bête, dans nos cerveaux. On dit «répliques» après un tremblement de terre.
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"Et puis, comme une vague imprévisible, une de ces vagues tueuses au milieu de la mer, je l'ai agrippé et secoué et je me suis vidée sur lui de tombereaux de cris et d'insultes." ..." Quelque chose est monté du ventre de Stuart jusque derrière ses mains. Son cri à lui. Nous étions transformés en animaux et nous découvrions, chacun, notre cri. Un zoo de douleur."

..."Des cris de torturés à qui l'on a coupé les cordes vocales"
..."Stuart se tenant les mains, serrées à hauteur du front, bras crispés, ses deux mains cramponnées l'une à l'autre, écrasées sur son front; et moi debout derrière, bras ballants, corps ballant, ballante comme une cloche, juste après le cri _ ça, la première image que j'ai de nous, l'image de l'hôpital, juste après la mort de Tom."
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"Elle dit que mon père fait un "épisode délirant", il hurle et se débat, il est dans une clinique. Mon père a la seule réaction possible, sensée et cohérente, au milieu de nous tous, les paralytiques. Mon père se montre à la hauteur du désastre; Moi je suis sortie du cri et je ne sais plus quoi faire, de moi, de mes enfants, de mes mains."
..." Me remuer, pas comme mon père qui hurle sa souffrance enfermé dans une clinique."
..."Elle me donne des nouvelles de mon père, de son cri. Entre deux prises de médicaments le cri renaissait, grondait dans sa poitrine, montait, puis éclatait."
..."Mon père criait pour moi, pour nous. Ce cri creusait un trou où Tom avait été, à cet emplacement béant, qu'il fallait maintenir béant.
Quelque temps après on a volé le Cri de Munch dans la Galerie Nationale d'Oslo. C'était les ondes concentriques autour du cri de mon père qui avaient englouti le tableau, avalé dans sa gueule ouverte, disparu pendant que mon père criait, et bien sûr la toile on ne la retrouverait pas, puisque le monde ne demeurait pas intact finalement, puisque tout de même, à quelques signes, on voyait que des failles craquelaient la surface, les atomes s'y engloutissaient, et du monde matériel ne demeuraient que des souvenirs."
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Celle qui est morte avec Tom, c’est la mère de Tom. Reste la mère de Vince et de Stella. La mère de Tom n’est plus. Celle que Tom voyait. Celle que j’étais dans le regard de Tom, née avec Tom et pour Tom. Dix ans après, je me souviens mal d’elle. Je me souviens de Tom. Il me semble que je pourrais, pendant quatre ans et demi plus une grossesse, faire redéfiler, minute par minute, sa vie entière. De la première échographie à la dernière image. Je le contiens, il est avec moi. Mais dans les blancs, dans les moments où il était à l’école, dans les moments où il était loin de mon regard, qui était la mère de Tom ? Je ne la vois plus. Dans les blancs, elle disparaît. Il m’a peut-être emportée. Il m’a prise avec lui. C’est une idée presque apaisante. Me dire que je l’accompagne, où qu’il soit. Que je lui suis d’un peu d’aide. Et qu’une écorce vide reste ici à faire mes gestes et à garder mon souffle, une femme de paille.
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Et je vois ma belle-sœur, pas méchante, elle a juste l’égoïsme banal de ceux qui ne quittent jamais leur peau. Elle parle des enfants, et je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à ne pas voir Tom. Alors elle dit : Tu y penses encore ?
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Tom immobile une seconde, les yeux émerveillés sur l'offrande, émerveillés sur le monde, yeux bleus assortis à la libellule dans l'harmonie du monde, agrandis de joie et de peur délicieuse. Maman! chuchote Tom.
Tom mourra au bout de ce chagrin, avec ses hauts et ses bas, ses marées et ses épisodes, Tom est mort à cause de ce chagrin.
Et je mourrai en croyant Tom vivant...
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Toutes les terres où j'ai vécu ont d'abords été vidées de leurs habitants pour que les blanc s'y mettent, pour que je m'y mette, moi et mes enfants.
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Il est mort, je le sais, mais il n’est pas mort pour moi. Les inspecteurs du deuil diraient que je n’ai pas fini mon travail. Comment veulent-ils que ça finisse ?
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Une partie de mon cerveau joue avec la mort de Tom comme avec une balle dure et froide. Plus rien n’a d’importance dans la mort de Tom, y compris la mort de Tom.
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