Notre plaisir ou notre émotion grandissent, au contraire, à mesure que nous pénétrons mieux le détail pittoresque de l'oeuvre. Or, celui-ci est infini. Voyez comme l'artiste a tiré parti, au point de vue décoratif, de toute cette complication apologétique, réduisant à leur plus simple expression les actions imposées qui le gênaient, et s'appliquant à en développer d'autres qui n'avaient rien à voir ici et pour leur pur agrément esthétique. Si, maintenant, vous lisez non plus les gloses des savants, mais ces images mêmes, vous trouverez que jamais l'art n'a fait meilleur marché du sujet, qu'à nulle époque la peinture religieuse n'a contenu tant de choses étrangères à la religion, et, en poussant plus avant l'analyse, que c'est peut-être à cela qu'elle doit d'avoir conservé son charme divers et universel.
Depuis un siècle, au moins, les Allemands n'étaient plus maîtres. Ils faisaient figure de petites gens réduites au crédit des voisins, courbées sous une férule de régent. Ils s'avouaient de pauvres lourdauds éternellement stériles qui, incapables de jamais rien produire, devaient toujours se tenir au service, à la discrétion des Anciens, de leurs voisins plus intelligents et à des livres de classe. Ils ébranlaient le monde du tonnerre victorieux de leurs armes; leur science, leur technique, leur industrie envahissaient l'univers : les plus privilégiés d'entre eux cependant languissaient dans une servitude misérable.
De même, le peintre a merveilleusement tiré parti des couleurs mises à sa disposition : le rouge. le bleu, le jaune, le vert, le tanné et le brun rouge.
Il a plaqué, au centre, un accord bleu, entouré de nombreux accords rouges et jaunes qu'avivent, partout, les accents verts des feuillages. Il n'y a qu'à se retourner vers les tapisseries de Pepersack, les Noces de Cana, ou Jésus au milieu des Docteurs, pour saisir à quel point l'homme du XVe siècle, avec moins de couleurs, était plus coloriste que celui du XVlle.
A la vérité, Boecklin avait trouvé quelque chose : c'était de prendre les êtres fantastiques créés par l'art antique et de les remettre dans des paysages vrais, les paysages d'où ils étaient venus, où ils avaient été, pour la première fois, aperçus ou devinés par l'imagination apeurée des bergers : de renvoyer Pan et les faunes et les satyres dans les bois, les sirènes et les naïades dans l'eau, les nymphes au creux des sources, et de faire galoper les centaures par les prés et les rochers sauvages.