Le témoignage de l'art sur une époque ou sur une race ne peut égaler en précision celui de l'histoire ou de la littérature. Mais il est, en un sens, plus universel; il est plus sensible et il est plus sincère. Plus universel, parce qu'il dévoile des choses ou des gens qui n'avaient pour eux que leur beauté pittoresque et semblaient aux chroniqueurs dépourvus d'intérêt historique; plus sensible, parce que des nuances d'âmes ou des étals qui ne peuvent s'exprimer par l'action, se sont, à leur insu, inscrites dans le galbe délicat des gestes; plus sincère, parce que limage fut toujours moins surveillée que la parole écrite, chacun surveillant mieux sa bouche que ses yeux.
Les grandes nations, dit Ruskin, écrivent leur autobiographie dans trois manuscrits : le livre de leurs faits, le livre de leurs paroles et le livre de leur art. Aucun de ces manuscrits ne peut être parfaitement déchiffré si nous ne lisons pas aussi les deux autres, mais, de tous les trois, le seul absolument digne de foi est le dernier. Car les faits d'une nation peuvent être triomphants grâce à sa bonne chance et ses paroles puissantes grâce au génie de quelques uns de ses enfants : mais son art ne peut l'être que grâce aux dons communs et aux sympathies universelles toutes de sa race.
En ce sens, inconscient et fidèle, l'art est bien le « miroir de la vie ». Mais c'est un miroir magique où les choses se reflètent tantôt avant quelles ne soient, tantôt quand elles vont cesser d'être.