ELLE : La guerre, ce sont les femmes qui l'ont faite sous les bombardements aériens. Naples a été pilonnée à cause du port comme si elle était sur le front. Les femmes ont combattu plus que les hommes. Maman a fait plus de jours de guerre que papa. Même dans les quatre journées de fin septembre 43, elle était là, papa non. Les femmes n'ont pas pu jeter l'uniforme
la mère
Je crois que nous avons le pouvoir de faire sortir les nombres. Les nombres, c'est nous et nous sortons chaque fois que quelqu'un se souvient de nous et nous nomme.
La tombola napolitaine sort, en même temps, un numéro et une histoire. C'est le voyage opposé à celui des rêves, qui d'une histoire venue dans le songe suggère les numéros à jouer ao loto.
incipit
Le théâtre est un récit dans lequel l'écrivain disparaît.Il ne peut écrire: "C'est une belle nuit avec la lune" .Un des personnages doit le dire. Les événements sont racontée par leurs voix. Le théâtre expulse le narrateur de la page, la parole est exclusivement à qui la prononce.
Naples
ELLE : L'autre jour dans la ruelle qui est là en bas, j'ai vu une dame sortir d'un portail avec des chiens. Elle en avait trois ou quatre en laisse. La ruelle est étroite, pourtant les voitures y passent, les habitants des rez de chaussée n'ont pas de balcon et ils installent deux bâtons sur le trottoir avec un fil pour y suspendre le linge, là sur le trottoir. Un petit vieux met sa chaise dehors, lit son journal, fume son cigare toscan. Donc vient la dame avec sa meute derrière elle et ces fichus chiens vont tourner autour de la chaise, derrière un bâton à linge, le petit vieux perd l'équilibre, est secoué sur son siège, le linge tombe par terre, les laisses s'emmêlent et s'embrouillent, les chiens tirent, la dame s'énerve du contre-temps et des obstacles qu'elle a trouvés pendant sa promenade, la femme du rez de chaussée sort pour tirer le linge piétiné par les chiens, le petit vieux essaie de s'accrocher à sa chaise pour ne pas être renversé, et personne ne dit rien : c'est une scène muette et frénétique. Ça aurait pu être une danse tribale pour chasser les diables. Enfin la dame regroupe sa meute de chiens et s'éloigne sans un mot. Un autre petit vieux, assis sur une chaise sur le trottoir d'en face, pour résumer la scène, fait ce commentaire : " Ce matin 'ne dame est pa'tie à la chasse". Il aurait fallu applaudir. J'avais envie de les embrasser, tous, même la dame.
LUI : Tu viens de décrire le théâtre.
Le dialogue, et ses personnages, peuvent tous avoir tort et s'affronter sous la pression d'instincts, de sentiments et d'autres variables. Le dialogue survient entre un écueil et les ailes qui y font leur nid, entre la graine et la terre, entre les nuages et le vent, entre les vagues et un bateau en perdition, le dialogue est une feuille qui se détache, avec l'automne, jusqu'à la dernière oscillation et le moment où elle s'abandonne au vol.