Je lis des vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, parce que chaque exemplaire d'un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d'un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l'hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n'importe comment sauf d'ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l'étagère.
Je t'aime par amour et par dégoût des hommes, je t'aime parce que tu es intègre même si tu es le reste d'une autre vie, je t'aime parce que le bout qui subsiste vaut la totalité et je t'aime par exclusion des autres bouts perdus.
Un arbre a besoin de deux choses : de substance sous terre et de beauté extérieure. Ce sont des créatures concrètes mais poussées par une force d'élégance. La beauté qui leur est nécessaire c'est du vent, de la lumière, des grillons, des fourmis et une visée d'étoiles vers lesquelles pointer la formule des branches.
Un arbre écoute les comètes, les planètes, les amas et les essaims. Il sent les tempêtes sur le soleil et les cigales sur lui avec une attention de veilleur. Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait.
Il y a des créatures destinées les unes aux autres qui n'arrivent jamais à se rencontrer et qui se résignent à aimer une autre personne pour raccommoder l'absence. Elles sont sages.
Je vois la mer qui râpe les rochers, et le blanc d’ongle des vagues est la ligne qui la sépare de la terre.
Je vois la ligne rouge du coucher de soleil qui sépare le jour de la nuit, je pense que le monde est l’œuvre du roi du verbe diviser et j’attends la ligne qui viendra me détacher des jours.
La vie est un long trait continu et mourir, c’est aller à la ligne sans le corps.
Et elle arrive. Voilà Dvora. Je sens des abeilles dans mon sang, un ours dans mon coeur, chaque battement est une patte qui démolit la ruche.
[…] Des histoires de femmes hindoues qui, lorsque se lève un vent de tempête, sortent les seins nus pour l'arrêter.
[…] Devant une femme, je sens le Napolitain qui a envie de la faire rire. Sans éclats de rire avant, les baisers sont fades. Je ne le lui dis pas.
à propos des Balkans :
[...] Tout autour les champs sont immobiles, les mines attendent les pas. Comment grandissent les enfants avec tant de terre interdite autour d'eux ? [...]
Il répond que les femmes attachent les enfants quand elles doivent sortir et les laisser seuls.