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Critique de Arimbo


Stanislas Dehaene est Docteur en neuropsychologie et Professeur au Collège de France, où ses cours sont un modèle de rigueur et de clarté.
Et ses livres sont marqués d'un formidable souci de pédagogie, de passage du savoir, tel celui « Les Neurones de la Lecture » que j'ai chroniqué il y a quelque temps sur Babelio:

Celui-ci, le Code de la Conscience, un ouvrage dense mais passionnant, qui date de 2014, aborde, dans une optique de vulgarisation scientifique, une notion qui, à première vue, semble bien loin de pouvoir être abordée par des méthodes expérimentales, celle de la conscience humaine.

Et pourtant, le Dr Dehaene nous montre que dans cette notion de conscience qui recouvre de nombreuses notions souvent floues et confuses, le scientifique peut y restreindre le champ pour qu'il soit accessible à l'expérience. Une démarche caractéristique de la démarche scientifique, partir du plus simple pour aller au compliqué.

Et c'est ainsi que l'auteur explique ce qu'il va étudier:
« La science moderne de la conscience distingue au moins trois concepts : le degré de vigilance, qui varie quasi continûment depuis la veille jusqu'au sommeil ou au coma profond ; l'attention, c'est-à-dire la focalisation de nos ressources mentales sur un objet particulier ; et, enfin, l'accès à la conscience, c'est-à-dire le fait que seule une partie de nos pensées entre dans le champ de notre conscience, devient disponible pour diverses opérations cognitives et peut être rapportée à d'autres. »

C'est l'accès à la conscience de nos pensées, qui sera le fil conducteur du livre. Cette analyse scientifique étonnante de la subjectivité n'aurait pu exister sans le développement extraordinaire des méthodes d'analyse du fonctionnement cérébral, notamment l'imagerie cérébrale, avec l'IRM fonctionnelle, le perfectionnement de l'électroencéphalographie, etc…mais aussi celui de méthodes simples d'analyse de l'accès à la conscience.

Après avoir fait l'historique de l'approche scientifique et passé en revue les méthodologies d'approche, l'auteur va, tout d'abord, nous expliquer l'extraordinaire foisonnement de nos pensées inconscientes. C'est absolument passionnant et étayé par de nombreuses expériences parfois bien cocasses, et de multiples références. Ainsi des images, ou des sons, présentés à un sujet de façon subliminale, et qu'il affirmera n'avoir pas vu ou entendu, déclenchent une série impressionnante de réactions dans différentes zones du cerveau. Mais ces procédés inconscients ne se limitent pas à des processus plutôt simples comme la vision et l'audition, mais à des fonctions plus complexes comme les mathématiques, ou du domaine de l'émotion (peur) ou de la relation avec l'environnement (attention inconsciente) ou avec autrui (reconnaissance des visages).
Ainsi, bien plus que la fonction que lui attribuait Freud, ces fonctions inconscientes multiples sont comme des fonctions d'arrière-plan d'un ordinateur qui travaillent pour nous, sans que nous le réalisions, et parfois pour préparer une décision consciente. L'auteur émet l'hypothèse que nous avons hérité cela de tous nos ancêtres du règne animal pour qui il était vital de répondre extrêmement rapidement à un danger, une opportunité, et les fonctions inconscientes aident à cela.

Et puis, dans le chapitre suivant, le Dr Dehaene nous expose ce qui fait la conscience, le travail plutôt lent de tri qu'elle fait dans les données inconscientes, l'importance de l'intégration dans la mémoire de travail des données sélectionnées, son importance dans le lien social (donner ou apprendre des autres la « substantifique moelle » et non un fatras de données) et aussi dans la coopération entre individus.

Un chapitre absolument passionnant est ensuite consacré à ce que représente l'accès à la conscience. Tout d'abord, aux 4 « signatures » de l'émergence de la pensée consciente, telles que peut les détecter l'imagerie cérébrale. En faisant passer des informations du subliminal au conscient, les chercheurs ont découvert 4 transformations dans le cerveau: la première est une activation de nombreuses zones du cerveau, dans le cortex frontal, temporal et pariétal, ce que l'auteur qualifie « d'embrasement », la seconde l'apparition d'une onde tardive (au bout d'environ 300 milli-secondes) de grande amplitude appelée P300, la troisième, l'apparition, elle-aussi tardive, d'ondes de haute fréquence, et enfin la dernière, une synchronisation des ondes de zones éloignées dans le cerveau.
Et puis, l'auteur va plus loin pour répondre à cette question: qui sont et que font donc ces neurones qui s'activent? Émerge alors, argumenté de nombreuses expériences, dont celles incroyables réalisées avec des électrodes placées dans le cerveau de patients épileptiques juste avant leur traitement chirurgical, la notion d'un « espace de travail global », où interagissent grâce à l'exceptionnelle longueur de leurs axones, et leur profusion de leur dendrites, des millions de neurones dits pyramidaux (parmi les seize milliards de neurones de notre cerveau!) dont chacun a une fonction limitée à un morceau d'objet, de visage, de sens, de souvenir, etc…mais dont l'interaction et surtout la synchronisation de leurs décharges électriques, va reconstruire l'objet, le visage, le sens, le souvenir.
Et puis l'auteur insiste sur la propriété unique de notre cerveau, c'est que chez lui prédomine, non pas la réponse aux stimulis, mais une activité intrinsèque d'exploration de possibilités, qui débute dès l'enfance et se poursuit toute la vie. En effet, une propriété remarquable des neurones et particulièrement ceux des primates, dont l'homme, c'est l'excitation interne, sans besoin d'accès aux sollicitations extérieures. Ainsi, cette propriété fait que nos neurones dialoguent entre eux, deviennent capables d'apprendre de leurs erreurs, et d'abstraire les informations.
Ce qui encore plus étonnant c'est que, avec l'éminent chercheur et pionnier de la neurobiologie Jean-Pierre Changeux, l'équipe de l'auteur a entrepris la réalisation d'une simulation informatique simplifiée des interactions cérébrales, et ainsi pu vérifier, à l'aide de ce modèle un certain nombres d'hypothèses, par exemple « l'embrasement » cérébral caractérisant l'accès à la conscience.
Et enfin, l'auteur expose une autre qualité fascinante de notre cerveau, et encore différente de la conscience, celle de posséder un nombre gigantesque de connexions dites latentes à la base de nos aptitudes diverses, comme « apprendre à rouler en vélo ne s'oublie pas », comme aussi l'évocation des souvenirs, et bien d'autres qui n'attendent qu'à être réactivées.

Un autre chapitre est dédié à ce que devient la conscience quand un individu est plongé dans le coma. Avec cette question cruciale: comment les découvertes de l'imagerie cérébrale peuvent elles apporter des informations sur le degré de conscience d'un patient, surtout s'il est, sur le plan des signes cliniques, considéré dans un coma végétatif. L'auteur rapporte des résultats de son équipe ou d'autres, montrant que des signatures conscientes peuvent être détectées lors de questions posées à certains patients en coma végétatif, prédisant dans certains cas, leur récupération plus ou moins complète de la conscience. J'ai recherché, je dois dire sans succès, si ce type d'investigation était devenue systématique. Peut-être, l'emploi de matériels et de méthodes sophistiqués (et coûteux!) en a t il limité le développement en routine.

Dans un dernier chapitre, Mr Dehaene essaie de dessiner les perspectives de ces études. Par exemple, comment se fait le développement de la conscience au cours du développement humain, du bébé a l'enfance, l'adolescence, l'âge adulte. Comment résoudre l'énigme de la conscience de soi, et quelles sont les interactions neuronales qui pourrait l'expliquer. Comment cette conscience de soi pourrait être altérée dans les maladies mentales et quels sont les défauts d'organisation cérébrale qui les sous-tendent. Comment enfin faire avancer les connaissances avec des simulateurs informatiques et créer ainsi des machines conscientes.
La conclusion m'a fait un peu frémir. L'auteur y développe l'idée que, dans l'avenir, avec les progrès des outils informatiques, la construction d'une machine consciente sera possible, démonte les arguments qui s'y opposent, notamment celle du libre arbitre. Mais, et c'est mon regret pour cet ouvrage remarquable, ce n'était pas certes son propos, c'est qu'il ne met pas en perpective l'être humain comme être vivant interagissant dès sa vie foetale avec son environnement, d'abord sa mère, puis sa famille, et capable de ressentir ce que pensent les autres, sur ce cerveau de toutes ces émotions peur, agressivité, désir, etc.. qui sont le propre de la vie animale et dont parle si bien le neurologue Antonio Damasio. Toutes choses dont une machine consciente sera dépourvue.

En conclusion, un ouvrage d'une exceptionnelle qualité, d'un auteur qui s'efforce de nous accompagner au mieux sur un sujet complexe, et que j'aurais plaisir à relire pour mieux m'en imprégner.
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