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Critique de Dionysos89


Après quelques sauts dans la Bretagne romano-celtique de Boudicca (2017) et la guerre de Sécession aux États-Unis d'Amérique dans Je suis fille de rage (2019), Jean-Laurent del Socorro revient en avril 2021 dans l'univers de Royaume de Vent et de Colères (2015) avec du roi je serai l'assassin, toujours chez les éditions ActuSF.

L'enfance de Silas
Silas est un assassin accompli, mais ce ne fut pas toujours le cas. Alors qu'il converse avec un garde sur les hauteurs de Marseille en mars 1569, lui vient l'envie de lui raconter son histoire, depuis sa plus tendre enfance. C'est à Grenade, en Andalousie, en 1540, que débute le récit de celui qui s'appelle alors Sinan, ainsi que de sa grande soeur et jumelle Rufaida et sa petite soeur Sahar. Morisque dans une Espagne qui est devenue l'État européen le plus puissant et qui a étendu son empire colonial sur plusieurs continents, Sinan apprend, beaucoup, de la théologie à l'escrime en passant par l'anatomie. Il est guidé par plusieurs mentors et est en quête de compréhension d'un monde qui est en train de changer. Confronté à l'ambition de son père, il recherche une « pierre du Dragon » qui pourrait permettre aux morisques de se révolter ; confronté à l'ambition de sa soeur, il l'accompagne dans ses études à Montpellier pour devenir médecin ; confronté aux oppositions politiques qu'il rencontre, il doit parfois choisir son camp et en subir les conséquences. Sinan ne devient donc Silas qu'après de nombreuses épreuves et plusieurs changements dans sa manière de voir le monde.

Une histoire de famille
Malgré le titre et le fait que les lecteurs de Royaume de Vent et de Colères connaissent le « pedigree » de Silas, il ne faut pas s'attendre à un roman d'intrigues politiques ou de « crapule fantasy ». C'est ainsi que, de Grenade à Marseille, Jean-Laurent del Socorro opte pour un récit intimiste puisque Sinan raconte à la première personne ses épreuves : il est confronté à la concurrence/connivence de sa grande soeur, à sa relation aussi proche avec sa petite soeur, à son opposition à un père autoritaire et à des mentors qui ne l'aident pas assez à son goût. L'auteur manie ici des thématiques qui lui sont familières, avec sa plume alerte habituelle, à commencer par la difficulté de « faire famille » dans un contexte de dissensions morales. Concomitamment, la place des femmes est également une thématique centrale (comme dans tous les romans de Jean-Laurent del Socorro d'ailleurs), avec le bon usage de l'ambition de Rufaida qui cherche à se faire une place réservée aux hommes, ainsi que d'autres personnes mises en minorité par le pouvoir en place ; ici aussi, la question de l'homosexualité est subtilement posée. Autant de thèmes sociétaux qui rendent plus immersive cette histoire du XVIe siècle.

Un récit des guerres de religion
Malgré l'orientation très « familiale », un très fort accent est mis par l'auteur sur la dimension religieuse. Dès les premières pages, la place des morisques au sein de l'Espagne « très catholique » pose problème, car ils sont à la fois vus comme des traîtres par ceux qui auraient voulu conserver l'islam comme instrument politique et comme potentiels traîtres par les catholiques au pouvoir qui voient en eux une future cinquième colonne qui se révoltera bien un jour et qu'il faut donc tenir en respect, Inquisition à l'appui. Cette question des convertis en Espagne suite à la fin de la Reconquista complète la montée des guerres de religion au sein du royaume de France : les confrontations entre catholiques (« papistes ») et réformés (« protestants ») s'accentuent, et notamment dans les régions de Provence et du Languedoc. Jean-Laurent del Socorro fait alors le choix d'aborder cette période par l'axe de l'humanisme. Ainsi, recherche de savoirs antiques, voire cachés, attrait pour les connaissances et leur diffusion, puis construction d'un esprit critique face à ces connaissances sont les étapes rencontrées par le protagoniste. Silas poursuit inlassablement une quête que le lecteur ne saisit l'importance que tardivement : celle de l'Artbon qui peut anéantir des armées entières mais aussi l'humanité de celui ou celle qui use de son pouvoir. L'existence de cet artefact « magique » se mêle efficacement au contexte des guerres de religion. Ce mélange qui couve tout du long fait que du roi je serai l'assassin est intrinsèquement lié aux autres écrits de l'auteur sur le XVIe siècle qu'ont été le roman Royaume de Vent et de Colères (simple allusion à l'Artbon mais des personnages riches de caractéristiques touffues), les nouvelles « Gabin sans aime » et « le vert est éternel » (qui développement les relations sociales entre quelques personnages déjà rencontrés), ainsi que la novella La Guerre des trois rois (qui appuie plus lourdement sur le lien entre l'Artbon et la résolution des guerres de religion par l'entremise d'une personnage importante). Cela pose d'ailleurs un problème sur la toute dernière partie du roman : on retrouve un autre personnage de cet univers qui, lui aussi, fait son récit à la première personne du singulier, ce qui casse un brin la dynamique du roman qui narrait comme une confession l'histoire de Silas. D'un coup, on se retrouve avec un autre point de vue qui brise la liaison opérée entre le lecteur et ce personnage, et donne l'impression de mettre un point final pas seulement à ce roman mais quelque chose d'autre...

Du roi je serai l'assassin est donc un roman bien ficelé, sur une toile de fond riche et avec des personnages que l'auteur maîtrise bien ; Jean-Laurent del Socorro fait des choix narratifs qui peuvent être critiqués si on s'attend à un récit d'intrigues politiques et d'assassinats compliqués, mais qui renvoie bien à ses thématiques désormais habituelles, entre féminisme et humanisme.
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