Ici, on ne boit pas. Ici, on écluse, on se rince la dalle, on s'endort les souvenirs, on se gargarise, on s'humecte les muqueuses. Si vous préférez, on se démâte, on se dézingue, on s'empaffe, on se déglingue, on s'oublie, on s'enclume, on s'anesthésie au Pernod...
Avec des mots choisis et hésitants, ou vomissant d'un seul coup leur détresse, ils en revenaient systématiquement à leur solitude et à son corollaire, le mal d'amour.
D'un naturel taiseux, il ne parlait jamais de lui. Par expérience, il savait que ses clients ne venaient noyer leur désespoir entre les murs défraîchis de la Table que pour se répandre eux, et tenter de déclencher dans les regards de leurs voisins une étincelle de sympathie.
...ce n'était pas du servage et encore moins de la torture.
- Qu'est ce que c'était, alors?
- Un état. L'on était esclave comme l'on est aujourd'hui travailleur pauvre. Et cela ne provoque pas plus aujourd'hui qu'hier de levée de boucliers.
Chez les barons de la cuite, le whisky remplace le sextant et même la boussole. Il vous met du vent dans les voiles et il vous ouvre des routes qui ne sont pas fréquentées par les touristes. En plus, il tue la solitude.
- D' où tenez-vous ça ?»
- Un copain brésilien. Un poète de passage. Dès qu'il avait son compte, il affirmait que le whisky était le plus fidèle ami de l'homme. Une espèce de chien en bouteille, quoi.