Au loin
Il n’est pas nécessaire d’être moderne. Ou plutôt la modernité est universelle. Certaines époques du passé sont des anticipations qui happent l’avenir.
J’ai eu une enfance stellaire. Je me projetais dans la conquête spatiale. Les instruments se réglaient, les appareils s’apprêtaient à partir. On allait gambader sur la lune, en attendant l’expansion infinie, la traversée des trous noirs.
Mon humble destin d’enfant et la grande aventure qui s’amorçait avaient partie liée. Du succès de la fusée dépendait mon salut personnel.
Je revois toutes les images d’une fusée s’arrachant au ralenti à son derrick de Floride, pour viser la cible transparente sertie dans le ciel. Je comprenais à présent que l’avenir avait une face cachée, comme la lune, qu’on s’apprêtait à visiter.
Je prenais goût à ce vivant espace. Il était tout entier inscrit dans la ligne temporelle que je suivais.
Vivre dans le présent comme dans un futur. Comme dans un des futurs. L’avenir est un style de vie. Non parce qu’on est moderne. Plutôt parce qu’on ne l’est pas. Vivre à temps plein en état d’avenir.
Tempo
B /
La certitude d’exister me devient étrangère. Je rêve ma vie mais sans conscience précise d’être quelqu’un. Il me semble que je suis devenu l’âme des autres, leur captation minérale. Il faudrait toute la transparence du néant pour se sentir en vie.
Il me manque la saveur âcre d’un jour de doute, ses surprises, ses raids dans l’inconnu, ses interdits transgressés.
…
Aménagement
Cette maison est carrée et rugueuse. Elle est belle. Elle a cent ans, l’âge d’une certaine perfection.
Les portes s’ouvrent. L’âme circule. Les corps engourdis dans un lointain passé se remettent en mouvement, et respirent une essence de vie, ardente, dans le clair-obscur des contrevents.
Je vais vivre dans une maison qui ressemble à mon écriture. Opposant à la guerre, au désordre, au désastre de la langue et des mœurs, une sorte de signature gravée sur la surface du réel. Comme, sur la pierre de mon immeuble, le nom de l’architecte et la date de son œuvre à venir, forment un palimpseste. Dessous, l’histoire, ou le secret, attend.
Étang noir
On ne possède pas sa vie. On la perd. On la retrouve. On l’explore. On ne la reconnaît pas.
On apprend ainsi à vivre éveillé sans toucher tout à fait du doigt le miroir des choses.
C’est l’exil léger, impatient, effaré, captif de l’inconnu. Incontournable, immuable.
Cette terre est la mienne, bien sûr. Mais nulle part. Mais je n’y étais pas. Les amours m’ont déchiré, mais c’était une souffrance hors d’atteinte, ou hors de moi. Il y avait une vitre entre le monde perdu et les jours à venir.
À travers cette modulation toujours active de l’émotion et des images, nous éprouvons la durée de l’instant. L’événement qui a eu lieu, qui n’est plus et dont on se souvient (la mort d’un être, la fin d’un amour) ne bascule pas dans l’étang noir des souvenirs. Il devient présence, accélération, adaptation au réel d’un présent presque infini.
Un présent sans supplices, sans comptes à rendre à l’avenir.
Tempo
A /
Traiter le temps comme un labyrinthe, une caverne dont on ressort les yeux éblouis par l’éclair intérieur. La splendeur se dissipe. Il n’y a aucun espoir de la ramener au grand jour.
Vivre ainsi, retranché, indifférent à l’Histoire, juste attentif à l’esprit de suite, pour écrire et pour aimer.
Peut-être que l’exil est un métier, une façon de gagner du temps sur le temps.
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Le Tombeau d'une amitié. André Gide et Pierre Louÿs - Luc Dellisse .Présentation de Luc Dellisse à propos de son essai littéraire "Le Tombeau d'une amitié. André Gide et Pierre Louÿs", publié aux Impressions Nouvelles en octobre 2013 http://www.lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/le-tombeau-dune-amitie-andre-gide-et-pierre-louys/ réalisée le 6 novembre 2013 aux Impressions Nouvelles