Elle tenait à s'économiser les souffrances d'une rupture, et pour cela, elle évitait de tomber amoureuse.
D'expérience, Martin savait que le passé cessait d'être un enfer le jour où on était capable de vivre avec lui.
Tout ce qu'on ne dit pas est si lourd à supporter...
Excepté quelques furtives allusions, ils n’avaient pas abordé le passé et les blessures qui les habitaient toujours. Ils n’évoquaient pas l’avenir non plus. Mais combien de temps se satisferaient-ils de l’instant présent ? Charlotte évoquait le dernier livre qu’elle avait lu lorsqu’elle prit conscience que son pas était trop rapide.
Les plus beaux souvenirs de son enfance étaient marqués par la présence de Louise. Elle la revoyait levée avant tout le monde, toujours vêtue d’une blouse rose ou bleue ; elle se préparait une tasse de chocolat au lait qu’elle buvait en servant le petit déjeuner à toute la famille. Louise si attentive aux besoins des enfants, si inventive pour les distraire, si tendre, si aimante.— Au début c’était agréable de voir que je pouvais apporter ma contribution au bonheur de toute la maison, dit Louise en souriant.Toutefois, lorsque Nicole lui avait laissé entendre qu’elle ne remplacerait pas la femme de charge, Louise avait compris que le piège s’était définitivement refermé sur elle.— Je suis tellement heureuse que tu aies été là, tante Louise… Qu’aurais-je fait sans toi ?
Conduire les enfants à l’école, faire les courses, le ménage et la cuisine. Sans oublier le linge qu’il fallait accrocher sur les fils tendus dans le jardin, puis repasser et répartir dans les chambres. Elle s’astreignait à redonner à chaque pièce de la maison un semblant d’ordre.
Elle trouva gratifiant de prendre part à la vie de famille. Les rôles étaient inversés. Nicole ne pensait qu’à elle. C’était Louise la mère qui aurait fait n’importe quoi pour les enfants. À elle les coqueluches, les varicelles, à elle de bercer les petits malades fiévreux, les nuits blanches, comme la rançon d’un dévouement sans limites.
C’était toujours elle qui téléphonait, par devoir. Elle disait bonjour et elle écoutait les jérémiades. Étourdie par ces interminables litanies, elle inventait des phrases pertinentes, quelquefois cinglantes, exprimant tout ce qu’elle pensait, mais qu’elle ne formulait jamais. Elle avait fini par établir un programme : pas plus de deux coups de fil par semaine. Elle en avait assez d’être le réceptacle des tracas des autres, de leurs petites vies familiales bien rangées. Elle, qui prenait le temps de l’écouter ? À qui aurait-elle confié le désarroi qui découlait de sa vie ?
Chaque jour qui passait les rapprochait, en dépit du drame qu’ils n’évoquaient pas de peur de perdre les liens affectueux mais si fragiles encore qui se tissaient entre eux.
Avec sa manière de tout diriger, de tout prendre en main, même si d’autres personnes sont plus compétentes, elle inflige une telle pression à tout le monde… Elle est autoritaire, intolérante, et elle entend bien ne rien céder de ses pouvoirs à Grégoire.