Maître Homaire posa le corps de la mariée sur un drap blanc tendu à même le parquet du salon. Dès lors, une lutte sans merci s'amorça entre les deux systèmes de croyances qui se disputent depuis toujours l'imaginaire des Haïtiens: la foi chrétienne et la foi vaudou. Les parents d'Hadriana commencèrent à perdre le contrôle de la veillée. L'aristocratique manoir qui dominait le golfe, en un clin d'œil, se transforma en une ruche fantastique: des essaims de personnes, pour la plupart inconnues des Siloé, s'affairaient librement autour de la mort de leur fille. Sans prendre leur avis, au milieu des lamentations et des sanglots, elles enroulèrent les tapis persans, déplacèrent le mobilier d'époque et les vases de Sèvres, aveuglèrent avec un colorant blanc les miroirs et le verre de la pendule en bronze doré, mirent à l'envers les housses des fauteuils et des canapés Louis XV. Quelqu'un s'avisa de placer tête en bas une superbe table à thé anglaise à marqueterie en mosaïque.
Ces apprêts terminés, Madame Brévica Losange, une voisine des Siloé qui avait une réputation de Mambo *, invita les demoiselles d'honneur en larmes à intervertir culottes et soutiens-gorge, et à tourner sens devant derrière jupes et corsages. Elle affirma ensuite tout haut que le décès d'Hadriana n'était pas dû à une cause naturelle.
Il imprégnait l'atmosphère d'effluves aphrodisiaques. Quelques minutes après, les seins faisaient sauter les boutons des chemises de nuit, les fesses rompaient l'élastique des culottes, les cuisses en flammes s'écartaient à souhait, les vagins, fascinés, réclamaient le boire et surtout le manger : Balthasar n'avait plus qu'à entrer en campagne.
Incipit
Cette année-là, à la fin de mon enfance, je vivais à Jacmel, localité du littoral caraïbéen d'Haïti. A la mort de mon père, nous avions, ma mère et moi, déménagé de l'avenue La Gosseline pour aller habiter chez mon oncle maternel.
Je guettais l'incident qui mettrait mon imagination sur quelque piste du surréalisme quotidien.
Huitième proposition
(Portrait du zombie)
Voilà les éléments qui serviraient à tracer le portrait de ce sous-nègre, personnalité en pièces détachées, sans souvenirs ni vision du futur, sans besoins ni rêves, sans racines pour porter des fruits ni de bonnes couilles pour bander, objet errant au royaume des ombres, loin du sel et des épices de la liberté. Il y aurait eu lieu de préciser les traits qui sont communs aux êtres en situation de zombies. On les reconnaîtrait à leurs regards vitreux, à l’intonation nasale de leur parole, à leur air absent, au brouillard qui enveloppe leurs pensées et leurs mots ; à leur façon saccadée de marcher, en regardant droit devant eux, abouliques aux gens, aux animaux, aux choses et aux plantes ; au fait qu’à leur approche tout se dévalorise avant même que leurs mains ne touchent à un bien quelconque de ce monde.
"Cette nuit là, au fond de chaque conscience, à Jacmel, le souci de tous était d'éloigner la jeune mariée changée en zombie, de la rabattre brutalement sur son inéluctable destin comme un danger pour l'ensemble du corps social jacmélien" (p.133)