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Citations sur L'éternel fiancé (74)

Lassés l'un de l'autre, ils ne semblaient jamais fatigués de se battre.
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En repensant à ces rares déjeuners partagés avec ma paire de tantes, je me demande comment certaines pratiques s'inscrivent en nous sous l'enseigne de l'habitude. Je n'ai répondu à leur invitation que trois ou quatre fois, mais dès que je me retrouvais sur la chaise aux accoudoirs recouverts de velours vert jade du restaurant russe, j'étais envahie par un sentiment de répétition, une impression rassurante et douce d'éternité. J'avais la sensation qu'à l'abri de ce lieu, face à ce menu qui jamais ne changeait (malgré ce que l'exclamation de Jacqueline "Tiens, il y a des kotletki!" aurait pu laisser croire), aucune catastrophe, aucun chagrin ne pouvait nous atteindre. Le monde ainsi conservé, un peu comme si nous avions toutes les trois été assises dans une de ces boules de verre où la neige volette après qu'on les a retournées, semblait être parvenu à son paroxysme, devenant le monde absolu: mes tantes et moi chez Dimitri; après les guerres, après les révolutions, après la bombe atomique, après le goulag, après la crise de Cuba, après le choc pétrolier, un monde parfait, sans rien ensuite que l'addition avec un petit café en même temps s'il vous plaît, Aliocha.
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(Avant le mariage) « Est-ce que tu vas changer de nom ? me demande Yves en m'enlaçant, après qu'il a couché Matteo et Nelly. Est-ce que tu vas t'appeler comme moi ? Comme si on était frère et sœur ? Est-ce que tu vas dire « Bonjour, c'est madame Yves Deschênes à l'appareil » quand tu téléphoneras ? Comme si tu étais moi en fille ?
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Je songe qu'il doit être doux de suivre la coutume, de placer son pied, sans trop bouger, sans trop s'interroger, dans la trace qui précède. C'est si bon d'être semblable, d'être conforme. Pourquoi devrait-on jouer au malin avec la vie ?
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Que lui répondaient ses parents quand elle se plaignait de l'ennui, ou qu'elle était d'humeur maussade à cause d'un chagrin d'amour ? Ils ne lui disaient pas : « On te comprend, ma fille, on est passés par là, nous aussi », ou bien : « Nous t'avons pris rendez-vous chez le meilleur psychologue du quartier. » Ils ne disaient rien. Et, d'ailleurs, ma mère ne se plaignait pas. Elle songeait que ses parents avaient vécu l'exil, la misère et la guerre - et elle ? Rien.
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La plus grande de tes qualités- d où tiens tu cela? - quelles merveilles, ce visage, cette silhouette -, c'est la patience avec laquelle tu écoutes. Je t'ai choisi.
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Les néons du bar sont des ruisseaux d'or. L'acrylique du pullover violet d'Antonia est plus doux que le ventre d'un chat. Quand leurs genoux se touchent sous la table, le désir pulvérise les os de leurs hanches. Le velours côtelé des pantalons hérisse ses millions de poils.
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La respiration est la même pour tous. Elle est un plaisir et un privilège. Chaque fois que tu inspirés, il faut bénir l'air qui rentre par tes narines, par ta bouche. C'est la joie d'être vivant.
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Je suis tombée amoureuse d'Henri, a-t-elle annoncé, la casserole toujours en main, en s’adressant à mon père, le front plus lumineux que jamais.
— Qui c'est ça, Henri ? a demandé mon père.
— Le docteur Taïeb.
— Henri Taïeb, le dentiste ?
— Oui, a dit ma mère.
— Tu es indécente, a dit mon père.
— Oui», a dit ma mère, et elle a laissé tomber la casserole vide sur le carrelage.
C'est le son qu'a produit leur séparation.

Tout le bruit qu’il y a eu par la suite n'avait rien à voir avec notre histoire, avec notre famille. Notre maison, celle où nous avions grandi, est restée silencieuse. Mes parents ne se sont pas expliqués davantage. Il n’y a eu ni hurlements ni insultes. Le soir même, après avoir préparé une omelette trop cuite pour son mari et ses enfants, ma mère a fait sa valise et elle est partie. Elle nous a embrassées, Dora et moi, et nous a dit : «Ne vous inquiétez pas, on va se revoir très vite.» Il y avait une telle joie dans ses pleurs — car elle pleurait en nous serrant contre elle — que nous avons été conquises, ma sœur et moi. Conquises et horrifiées.
Tous les enfants pensent que leur mère ne changera jamais. Elle sera toujours jeune et belle (même quand elle est ingrate et déjà plus si jeune à leur naissance). Petit, on croit à la pérennité des mères comme on se fie au lever quotidien du soleil. Nous comptons sur nos mamans pour survivre à tout, demeurer intactes, inépuisables. Notre mère, à Lise, Dora et moi, a complètement changé quand elle a quitté la maison. Je ne pense pas qu’elle soit un cas unique. D’autres femmes subissent des métamorphoses au cours de leur vie. Celle accomplie par ma mère a simplement été magistrale.
L'homme que je n’ai appelé Henri que cinq ans après la séparation de mes parents avait commencé par être son dentiste avant de devenir son patron, puis son mari. J’ignore s’il était déjà amoureux d’elle quand il lui soignait les dents. Je suppose que oui. Ma mère était une beauté. S’approcher d’elle, que l’on fût homme, femme ou enfant, provoquait une sorte d'irradiation. Je l'ai constaté souvent et toujours avec fierté. Il n’y avait pas de raison pour que le Dr Taïeb ne succombe pas. Ce qui est plus mystérieux, c’est la passion que ma mère a déclarée pour cet homme. p. 70-71-72
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(Les premières pages du livre:)
« La Cité d’or
En rang par deux, les enfants de l’école maternelle se tiennent par la main. Ils vont à la mairie assister au concert de Noël.
Noël, tout le monde sait ce que c’est. Mais un concert ?
Les voilà assis dans la salle des mariages. Au plafond, un énorme lustre à pendants de cristal menace de les écraser si jamais il tombe, songe une petite fille assise juste au-dessous.
Elle a quatre ans. Chez elle, il y a toujours de la musique. Elle est contente d’en entendre. Elle se récite les noms des compositeurs que sa maman et son papa aiment. Il y a Beethoven. Mais maman préfère Brahms. Il y a Schubert que papa adore, mais Lise, la grande sœur, veut toujours du Chopin.
Les mains sous les cuisses, la fillette regarde les musiciens de l’orchestre se mettre en place.
Le chef lève sa baguette. Les maîtresses des différentes écoles du quartier qui accompagnent leurs classes font : « Chut ! Chut ! »
Les enfants se taisent. Ils pensent que le père Noël va peut-être venir. On leur a promis que s’ils étaient sages, c’est ce qui arriverait. La petite fille se fiche du père Noël. Ce qu’elle veut, c’est la musique.
Le chef abaisse la main droite, tout en montant la gauche, et une mélodie, tissée de plusieurs dizaines de voix mêlées, s’élève.
La petite fille en a le souffle coupé.
Le son est si fort. Tout vibre, de ses orteils comprimés dans les chaussures vernies sorties pour l’occasion à ses cils immenses qui lui font un regard triste et doux.
Et puis soudain, comme cédant à un ordre impérieux, le garçon devant elle se retourne pour la regarder. Elle ne l’a jamais vu. Ce n’est pas un élève de la Cité d’or – ainsi s’appelle son école. Qui est cet intrus ? De quelle école vient-il ?
Les cheveux mal coiffés, il la fixe. Une masse mousseuse et déséquilibrée, tout vers la gauche ou tout vers la droite, lui donne un air de travers. Il lui dit qu’il l’aime. Il l’a choisie, elle, entre toutes les filles de la salle, « parce que, explique-t-il, tu as les yeux ronds ».
Comment ose-t-il parler alors que la musique a commencé ?
La petite fille pense que si elle lui répond, ils seront foudroyés. Par les maîtresses, par le chef d’orchestre, par Dieu lui-même.
Elle se tait.
Mais voilà qu’il insiste : « Je t’aime parce que tu as les yeux ronds. »
Ne sachant comment le faire taire, elle rétorque : « Je ne t’aime pas. Parce que tu as les cheveux de travers. »
Le garçon se met à pleurer en silence.
La petite fille est sauvée.
Mais elle songe qu’ils sont à présent fiancés, à cause de la beauté de la musique ; officiellement fiancés, à cause de la salle des mariages.

Des dizaines d’années plus tard, elle considère que ce garçon qu’elle rencontre par hasard, à intervalles réguliers, et qui se rappelle à peine son prénom d’une fois sur l’autre, lui appartient pour toujours.
Comme en musique, elle reprend au début et, à partir de là, le lien se noue. Il lui dit qu’il l’aime, qu’il l’a choisie parce qu’elle a les yeux ronds, et elle lui répond : « Moi aussi, je t’aime, parce que tu as les cheveux de travers », et tout recommence.
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