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EAN : 9782823615821
256 pages
Editions de l'Olivier (19/08/2021)
3.24/5   400 notes
Résumé :
À quoi ressemble une vie ?

Pour la narratrice, à une déclaration d'amour entre deux enfants de quatre ans, pendant une classe de musique.
Ou à leur rencontre en plein hiver, quarante ans plus tard, dans une rue de Paris.
On pourrait aussi évoquer un rock'n'roll acrobatique, la mort d'une mère, une exposition d'art contemporain, un mariage pour rire, une journée d'été à la campagne ou la vie secrète d'un gigolo.

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Critiques, Analyses et Avis (73) Voir plus Ajouter une critique
3,24

sur 400 notes
Une déclaration d'amour entre deux enfants aboutit, dans les contes de fées, à un mariage suivi de nombreuses naissances. Mais il arrive parfois qu'une sorcière s'en mêle et que d'un coup de baguette magique, le jeune homme devienne un crapaud et que le scénario dérape et s'achève tragiquement en cauchemar. C'est ce qui arrive à Etienne, l'éternel fiancé, qu'Agnès Desarthe condamne à finir en gigolo et ceci n'est qu'une catastrophe parmi beaucoup d'autres dans ces pages que j'ai trouvées particulièrement glauques.

Ca démarre pourtant bien, avec une peinture fine des rapports subtils entre familles ashkénazes et séfarades dans un milieu cultivé, aimant et pratiquant la musique classique, et des enfants qui deviennent adolescents, vivent leurs premiers amours, se fiancent, se marient, pendant que les parents divorcent. Mais la première partie s'achève par un dramatique accouchement qui emporte une jeune maman.

Et à partir de là tout se noircit. Les personnages deviennent obèses ou infirmes ou aveugles et l'un d'entre eux précise que c'est de la faute des « goys », remarque raciste que j'espérais ne plus lire en ce siècle. L'héroïne et sa mère se révèlent incapables de se servir d'un Lave Linge, anecdote aussi improbable qu'invraisemblable, avant que l'une décède et que l'autre déserte sa carrière et finisse en dépression …

Reste la musique classique, me direz vous, et bien la romancière introduit Clyde Spencer, chef d'orchestre victime d'un virus qui a effacé sa mémoire, pour achever son ouvrage. Trop c'est trop. Un tel catalogue de catastrophes est déprimant, « je lis le nom des morts donc je suis », et laisse au lecteur le choix entre se suicider ou prier Sainte Rita, experte en causes désespérées.

Manifestement ce livre n'est pas fait pour moi et me laisse perplexe sur les raisons qui l'ont intégré dans la première sélection du Goncourt ?
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Merci aux camarades-Libraires [Librairie Caractères / Issy-Les-Moulineaux ] pour m'avoir prêté ce texte d'Agnès Desarthe, à paraître en août 2021…

Deux enfants à un concert de Noël : un petit garçon qui déclare à la petite fille qu'il l'aime. Cette dernière lui rétorque « Je ne t'aime pas. Parce que tu as les cheveux de travers »

Des dizaines d'années plus tard ils se rencontrent à nouveau par hasard…Le fil conducteur … de l'histoire de cette jeune femme retrouvant cet amour d'enfance, marquée par le départ de sa mère, tombée amoureuse d'un autre homme… l'évolution de sa vie, entre un mari aimant, deux enfants, des périodes de doute, le souvenir fort de personnages ayant croisé son chemin, comme cette figure lumineuse d'une arrière-grand-mère, Marie-Louise et son arrière-petite-fille, étonnamment complices… le père, Etienne, l'é »éternel fiancé » dépassé par la vie, depuis la mort de sa femme , ayant laissé sa petite Rita à l'aïeule !

Il est question aussi de la mère de la narratrice qui pour conjurer son mal de vivre, collectionnait les sacs en plastique, l'obsession du « polythylène »… rien, ni personne n'est venu l'aider, ou l'entendre dans son mal-être pendant un flot d'années !

« Ce qui m'étonnait surtout- car on voit souvent des couples mal assortis-, c'est que ma mère ait eu le temps et l'idée de tomber amoureuse non de lui, mais amoureuse en général.

A la maison, elle avait toujours l'air si préoccupée. Les tempes creusées par une anxiété constante. Elle rangeait, elle classait, elle pliait et repliait. Je me disais parfois que, si on l'avait laissée faire, elle aurait tout plié et replié en carrés de plus en plus petits, sa famille, sa maison, les voisins, la ville, la campagne tout autour, les montagnes, les lacs, la mer, les océans, les continents lointains et leurs habitants, jusqu'aux régions polaires, tout ça, en minuscules carrés qu'elle aurait consignés dans le bas du placard (…) »

Une dernière partie avec des allusions et un hommage au musicien , Sir Clyde Spencer…Le Gospel , le blues… Un roman assez mélancolique sur le passage du temps , la disparition des parents que l'on voudrait « éternels »… Comment fait-on , parfois, pour affronter au mieux la Vie, pour « la vivre « le moins mal possible…Comment on tient le coup ? ?

J'avais lu avec intérêt de cet écrivain « Comment j'ai appris à lire »…mais là, j'ai eu un mal fou à achever ce roman… Je n'ai pas accroché à l'histoire…tout est éparpillé…décousu, sans véritable unité, ni fait saillant ! Je renâcle à être dans la critique négative, mais là j'avoue que j'ai beaucoup de mal à rédiger ce « billet » et encore plus, de terminer ce roman…trop morcelé…qui nous laisse sur un sentiment d' »inachevé »…de « manqué »…Pourtant, le style est fluide, des plus agréables et élégant…Texte de qualité qui a toutes les raisons de trouver un public plus réceptif que moi-même, n'ayant pas réussi à me laisser embarquer !
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Une vie.
Oui, incontestablement cette histoire je l'aurais sous-titrée ainsi. Car c'est bien la vie de la narratrice qui nous est contée depuis la découverte des premiers mots d'amour, alors qu'elle avait quatre ans et qu'elle écoutait un concert lors d'une fête de Noël, premiers mots d'amour qu'elle a dédaignés. Ces premiers « je t'aime » prononcés par ce jeune inconnu, vont plus tard faire de lui un objet constant de désir et un point de mire pour construire sa vie. Mais on ne peut pas tout reprendre du début, comme lorsqu'elle s'exerce en musique. La vie ne s'inscrit pas comme une partition.
Elle va alors, inconsciemment ou non, faire en sorte que leurs chemins se croisent à plusieurs reprises, mais ce qu'elle a imaginé, elle, n'est pas le rêve qu'il s'est construit, lui.

Une vie qui passe.
Une vie à poursuivre des chimères parce que petite, on n'a pas su saisir la perche tendue. Et puis le collège, le lycée, le travail, le mari, les enfants. Et le temps s'écoule. Les regrets arrivent. Les souvenirs affluent. Les mots qu'on n'a pas dits forment barrière au bord des lèvres. le mal-être s'installe.
Et puis…

J'ai beaucoup aimé cette lecture, celle d'une vie qui passe avec ses moments de bonheur et de désillusion, ces instants rêvés et d'autres vécus, cette corrélation qui parfois se met en place, ses rendez-vous manqués, ses surprises inattendues, ses peines et ses élans retrouvés.
J'ai aimé également l'apport de la musique pour servir de base, de comparaison, de soutien et de trait d'union avec la vie, ainsi que l'écriture douce et délicate.

Le chemin est parfois long pour se comprendre soi-même et s'accepter.
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Des rendez-vous qui marquent une vie

Dans son nouveau et somptueux roman, Agnès Desarthe raconte surtout des rendez-vous manqués. Mais entre la narratrice et Étienne, qui se rencontrent à quatre ans, il s'agit d'autant de jalons dans leurs vies respectives.

Cette histoire commence vraiment quand deux enfants de quatre ans se rencontrent lors d'un concert de Noël. En croisant le regard de la petite fille Étienne lui déclare tout de go: «Je t'aime parce que tu as les yeux ronds». Cette petite fille, la narratrice de ce superbe roman, interloquée, ne trouve rien de mieux à lui répondre que: «Je ne t'aime pas. Parce que tu as les cheveux de travers». Une phrase qui la hantera dès lors longtemps, car elle scelle en quelque sorte leur histoire commune. Celle d'un amour contrarié, caché derrière un mensonge de circonstance, derrière une promesse non tenue, derrière des chemins qui vont se recroiser mais jamais se rejoindre.
Ainsi, au lycée, quand ils se retrouvent, Étienne affirme qu'il ne se rappelle l'avoir déjà croisée et s'intéresse davantage aux autres filles, même s'ils partagent un point commun, la musique. Un art omniprésent dans le livre et qui va accompagner cette histoire de rythmes nostalgiques ou entraînants, joyeux et tristes, soulignant le tempo. On passe ainsi du temps de l'apprentissage à celui de l'harmonie familiale où le père et ses trois filles forment un quatuor à cordes sous l'oeil attendri de la mère. Puis on bascule dans une période rock and roll quand la mère décide de quitter le domicile pour suivre son dentiste. On finira par les créations contemporaines avec un chef aussi étonnant que pathétique, car il n'a plus de mémoire immédiate.
Encore un joli symbole de cette vie qui file, de ces générations qui défilent en emportant leurs secrets. Chaque fois qu'elle va croiser Étienne la narratrice constatera que le temps a passé, que son histoire aurait pu être différente. Elle sortira avec son frère, se liera d'amitié avec son épouse Antonia, se mariera à son tour, avant de tomber dans d'autres bras. le tout émaillé de drames et de rendez-vous avec la mort. Mais si son parcours est teinté de regrets, il est surtout admirablement bien raconté, avec un humour délicat qui emporte l'adhésion du lecteur déjà conquis par les jolies formules de la romancière qui démêle son existence «comme une chevelure qui n'a jamais connu le peigne».
Comme dans La chance de leur vie, son roman «américain», Agnès Desarthe s'attache à ses personnages pour raconter mieux que personne la vie qui passe, les familles qui se construisent et se défont, l'héritage que l'on transmet aux enfants. Avec au bout de cet éternel fiancé l'idée que le premier amour a quelque chose d'indélébile. Peut-être parce qu'il est teinté d'innocence, mais plus sûrement encore parce qu'il restera à jamais le premier.



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Ça arrive une fois tous les cinq ans, tous les dix ans, parfois ça n'arrive jamais : l'impression d'être complètement en phase avec un texte, d'en saisir toutes les nuances, toutes les allusions, de se sentir absolument sur la même longueur d'onde, d'avoir fait soi-même l'expérience de ce qui est dit. Alors, un phénomène étrange a lieu, une espèce de stupéfaction teintée d'émerveillement, d'exultation et en même temps, l'émotion est telle que l'on achève la lecture à la fois empli des mots de l'autre et comme vidé de soi-même…
Singulière expérience que j'ai bien du mal à formuler en réalité...
Quoi qu'il en soit, on s'en trouve soudain réduit au silence. D'abord les mots ne viennent pas. C'est bien normal, on vient de les lire. Et l'on n'a plus qu'à se taire maintenant que tout est dit. Et puis, parler de l'oeuvre revient tellement à parler de soi que cela paraît presque impudique.
Que vais-je vous dire alors ? Par quoi commencer ? Où se cacher pour n'être pas trouvée, pas découverte, pas trahie ?
« L'éternel fiancé » commence par une déclaration d'amour : « Je t'aime parce que tu as les yeux ronds » avoue le petit Étienne à la narratrice enfant. Elle refuse ces mots. Qu'il se les garde ! Il est si laid, lui, avec ses cheveux de travers…
Et le temps passe. Les années collège, le lycée. Et Étienne que l'on recroise, qui est devenu très beau et qui a déclaré sa flamme à une autre. Étienne est pris. Pas son frère. Alors pourquoi pas son frère ? Il ressemble certainement un peu à Étienne, le frère… Peut-être pourra-t-on ainsi se rapprocher de celui qu'on a renoncé à ne plus aimer… Et la vie continue, le mariage, les enfants. Et un jour, tiens, bonjour Étienne, qu'est-ce que tu deviens ? Trente ans ont passé, on vacille, il parle, longtemps, on l'écoute raconter des choses terribles, extraordinaires et l'on se dit qu'elle est bien banale cette vie qui est la nôtre à côté de l'autre, la merveilleuse, la passionnante et folle de celui que l'on n'a jamais oublié. Que faire de mieux que de se projeter dans cette autre vie, s'absenter de soi, être double, se perdre encore un peu plus… Il y a des blancs ? Qu'à cela ne tienne… Comme une romancière, on va remplir les vides, les creux, inventer ce que l'on ne sait pas de l'autre, se créer un autre monde, une deuxième existence virtuelle, se projeter ailleurs, vivre par procuration. On y arrive bien, on est très forte dans ce domaine, c'est un peu notre spécialité de créer, d'imaginer.
« Je ne dis rien de la sensation de plus en plus présente d'avoir une double vie. Celle qui m'appartient et dans laquelle je me déplace sans joie, et l'autre dont je ne fais pas partie et qui, néanmoins, me passionne. Une vie à laquelle je ne peux rien retrancher ni ajouter, que je ne puis ni améliorer ni empirer, dont les personnages ne pensent rien de moi, dans laquelle il n'y a aucun enjeu ni aucun risque. Cette autre vie qui m'aspire et ne sera jamais ratée ni accomplie. »
Réflexion mélancolique sur le temps qui passe, sur ce qui a eu lieu ou pas, « L'éternel fiancé » m'apparaît aussi comme une métaphore de la littérature dans le sens où celle-ci, par le pouvoir des mots, de la fiction, permet d'accéder à des vies qui ne sont pas les nôtres, de les investir, de s'y voir vivre. Pourquoi se limiter à être soi quand on peut être un autre ?
« Être soi, quelle solution décevante, un résultat piteux, surtout lorsqu'on le compare à la beauté de l'équation que pose toute existence. »
La littérature pour aider à supporter…
La littérature, peut-être, pour trouver le courage…
« Le courage, me dis-je, le courage qu'il faut à chacun pour accomplir cette expérience brève et dénuée de signification, sans la possibilité de reprendre pour corriger, de faire mieux ou autrement. le courage qu'il faut pour supporter qu'il ne reste rien. »
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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critiques presse (5)
Culturebox
15 octobre 2021
Le dernier roman d'Agnès Desarthe est un voyage au cœur de la vie d'une femme, scandée par la visite impromptue mais régulière de son "éternel fiancé".
Lire la critique sur le site : Culturebox
Elle
06 septembre 2021
Aussi drôle qu'il est nostalgique, « L'Éternel fiancé », le nouveau roman d'Agnès Desarthe, conte les moments de la vie d'une femme. Époustouflant.
Lire la critique sur le site : Elle
LaTribuneDeGeneve
31 août 2021
Ça ne rate pas dans «L’éternel fiancé». L’experte en désordres sentimentaux range à nouveau la maison, ici celle d’êtres en pagaille qui, jadis à l’âge de 4 ans, se déclaraient une flamme éternelle. Le mot d’enfant les rattrape par hasard, les lance dans le rock’n’roll acrobatique des souvenirs. Le temps déroule ses promesses, à la vie à la mort, et tout le tralala entre deux.
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
SudOuestPresse
23 août 2021
Avec cette fresque familiale et amoureuse, la romancière signe, avec humour, une réflexion en marche autour du temps perdu et retrouvé, sur la mémoire. Et c’est très beau.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Lexpress
18 août 2021
Ce formidable roman initiatique, fresque familiale et conjugale qui entrecroise amours de jeunesse, regrets d'adultes, fratries soudées, générations croisées, chemins de vie escarpés, liens distendus puis renoués, au gré de personnages pas banals. Et surtout, au rythme d'une écriture tout en finesse, en inventivité, où la gravité le dispute à la fantaisie pour conjurer l'oubli.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (74) Voir plus Ajouter une citation
Je suis tombée amoureuse d'Henri, a-t-elle annoncé, la casserole toujours en main, en s’adressant à mon père, le front plus lumineux que jamais.
— Qui c'est ça, Henri ? a demandé mon père.
— Le docteur Taïeb.
— Henri Taïeb, le dentiste ?
— Oui, a dit ma mère.
— Tu es indécente, a dit mon père.
— Oui», a dit ma mère, et elle a laissé tomber la casserole vide sur le carrelage.
C'est le son qu'a produit leur séparation.

Tout le bruit qu’il y a eu par la suite n'avait rien à voir avec notre histoire, avec notre famille. Notre maison, celle où nous avions grandi, est restée silencieuse. Mes parents ne se sont pas expliqués davantage. Il n’y a eu ni hurlements ni insultes. Le soir même, après avoir préparé une omelette trop cuite pour son mari et ses enfants, ma mère a fait sa valise et elle est partie. Elle nous a embrassées, Dora et moi, et nous a dit : «Ne vous inquiétez pas, on va se revoir très vite.» Il y avait une telle joie dans ses pleurs — car elle pleurait en nous serrant contre elle — que nous avons été conquises, ma sœur et moi. Conquises et horrifiées.
Tous les enfants pensent que leur mère ne changera jamais. Elle sera toujours jeune et belle (même quand elle est ingrate et déjà plus si jeune à leur naissance). Petit, on croit à la pérennité des mères comme on se fie au lever quotidien du soleil. Nous comptons sur nos mamans pour survivre à tout, demeurer intactes, inépuisables. Notre mère, à Lise, Dora et moi, a complètement changé quand elle a quitté la maison. Je ne pense pas qu’elle soit un cas unique. D’autres femmes subissent des métamorphoses au cours de leur vie. Celle accomplie par ma mère a simplement été magistrale.
L'homme que je n’ai appelé Henri que cinq ans après la séparation de mes parents avait commencé par être son dentiste avant de devenir son patron, puis son mari. J’ignore s’il était déjà amoureux d’elle quand il lui soignait les dents. Je suppose que oui. Ma mère était une beauté. S’approcher d’elle, que l’on fût homme, femme ou enfant, provoquait une sorte d'irradiation. Je l'ai constaté souvent et toujours avec fierté. Il n’y avait pas de raison pour que le Dr Taïeb ne succombe pas. Ce qui est plus mystérieux, c’est la passion que ma mère a déclarée pour cet homme. p. 70-71-72
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Que lui répondaient ses parents quand elle se plaignait de l'ennui, ou qu'elle était d'humeur maussade à cause d'un chagrin d'amour ? Ils ne lui disaient pas : « On te comprend, ma fille, on est passés par là, nous aussi », ou bien : « Nous t'avons pris rendez-vous chez le meilleur psychologue du quartier. » Ils ne disaient rien. Et, d'ailleurs, ma mère ne se plaignait pas. Elle songeait que ses parents avaient vécu l'exil, la misère et la guerre - et elle ? Rien.
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Dans la vie, tu dois te taper chaque seconde. Il n’y a pas d’ellipse qui t’amène deux heures, une semaine ou cinq ans plus tard. Quand ta femme est morte, elle continue d’être morte la seconde d’après et celle d’encore après. Tu regardes la pendule et les aiguilles n’ont pas avancé. Elle est toujours morte et toi, tu éprouves toujours le même déchirement, la même quantité de chagrin. Les gens te disent que le temps fera son travail. Très bien. Mais le temps est si lent.
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Dans la boutique de l'horloger

-Vos bagues sont horribles, lançai-je sans l'avoir prémédité, regrettant aussitôt cette attaque.
-Les gens préfèrent, m'apprit-il.
-Les gens préfèrent quand c'est laid.
-Tous les gens ? De tout temps ?
-Non, peut-être pas. Mais la plupart.
-Et pourquoi, selon vous ?
-Parce que la beauté est effrayante. La beauté est cruelle. Elle vous découpe un coeur en morceaux.
-Alors une belle bague, selon vous, ça brise un coeur ? m'étonnai-je, amusée, et inquiète aussi, parce que depuis que j'étais entrée dans cette boutique, j'avais l'impression d'être en conversation avec le diable. (p. 228)
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(Les premières pages du livre:)
« La Cité d’or
En rang par deux, les enfants de l’école maternelle se tiennent par la main. Ils vont à la mairie assister au concert de Noël.
Noël, tout le monde sait ce que c’est. Mais un concert ?
Les voilà assis dans la salle des mariages. Au plafond, un énorme lustre à pendants de cristal menace de les écraser si jamais il tombe, songe une petite fille assise juste au-dessous.
Elle a quatre ans. Chez elle, il y a toujours de la musique. Elle est contente d’en entendre. Elle se récite les noms des compositeurs que sa maman et son papa aiment. Il y a Beethoven. Mais maman préfère Brahms. Il y a Schubert que papa adore, mais Lise, la grande sœur, veut toujours du Chopin.
Les mains sous les cuisses, la fillette regarde les musiciens de l’orchestre se mettre en place.
Le chef lève sa baguette. Les maîtresses des différentes écoles du quartier qui accompagnent leurs classes font : « Chut ! Chut ! »
Les enfants se taisent. Ils pensent que le père Noël va peut-être venir. On leur a promis que s’ils étaient sages, c’est ce qui arriverait. La petite fille se fiche du père Noël. Ce qu’elle veut, c’est la musique.
Le chef abaisse la main droite, tout en montant la gauche, et une mélodie, tissée de plusieurs dizaines de voix mêlées, s’élève.
La petite fille en a le souffle coupé.
Le son est si fort. Tout vibre, de ses orteils comprimés dans les chaussures vernies sorties pour l’occasion à ses cils immenses qui lui font un regard triste et doux.
Et puis soudain, comme cédant à un ordre impérieux, le garçon devant elle se retourne pour la regarder. Elle ne l’a jamais vu. Ce n’est pas un élève de la Cité d’or – ainsi s’appelle son école. Qui est cet intrus ? De quelle école vient-il ?
Les cheveux mal coiffés, il la fixe. Une masse mousseuse et déséquilibrée, tout vers la gauche ou tout vers la droite, lui donne un air de travers. Il lui dit qu’il l’aime. Il l’a choisie, elle, entre toutes les filles de la salle, « parce que, explique-t-il, tu as les yeux ronds ».
Comment ose-t-il parler alors que la musique a commencé ?
La petite fille pense que si elle lui répond, ils seront foudroyés. Par les maîtresses, par le chef d’orchestre, par Dieu lui-même.
Elle se tait.
Mais voilà qu’il insiste : « Je t’aime parce que tu as les yeux ronds. »
Ne sachant comment le faire taire, elle rétorque : « Je ne t’aime pas. Parce que tu as les cheveux de travers. »
Le garçon se met à pleurer en silence.
La petite fille est sauvée.
Mais elle songe qu’ils sont à présent fiancés, à cause de la beauté de la musique ; officiellement fiancés, à cause de la salle des mariages.

Des dizaines d’années plus tard, elle considère que ce garçon qu’elle rencontre par hasard, à intervalles réguliers, et qui se rappelle à peine son prénom d’une fois sur l’autre, lui appartient pour toujours.
Comme en musique, elle reprend au début et, à partir de là, le lien se noue. Il lui dit qu’il l’aime, qu’il l’a choisie parce qu’elle a les yeux ronds, et elle lui répond : « Moi aussi, je t’aime, parce que tu as les cheveux de travers », et tout recommence.
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Vidéo de Agnès Desarthe
Par l'autrice & Louise Hakim
Rue du Château des Rentiers, 13e arrondissement de Paris : c'est là que se trouve une tour impersonnelle et peuplée d'habitants tout sauf riches. Là vivaient les grands-parents de la narratrice, Juifs originaires d'Europe centrale, et leur phalanstère, point de départ d'une réflexion superbement libre sur la beauté de ceux qu'on nomme les « vieux » et sur le fait de vieillir soi-même. Ce récit, en forme de déambulation toute personnelle, est à l'image de son autrice : aussi drôle, lumineux que surprenant.
À lire – Agnès Desarthe, le Château des Rentiers, L'Olivier, 2023.
Lumière : Patrick Clitus Son : William Lopez Direction technique : Guillaume Parra Captation : Claire Jarlan
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