On se calme. Agir sur ce qui est maîtrisable. Laisser filer le reste. Je ne peux pas empêcher Marianne et Virginie de s’allier. Par contre, je peux décider de ce qui est bon pour ma fille. Je suis encore son père. Et Marianne n’a aucun droit sur elle.
Je perçois dans ses yeux une empathie qui me dérange. Elle n’a que six ans. Elle ne devrait pas avoir ce regard-là.
Je quitte la table, mal à l’aise. Je sais qu’elle a grandi trop vite, qu’elle s’est construite dans la rupture, la déchirure. Sa maturité est une armure, son recul une fuite.
Quand je lui ai présenté Marianne, j’espérais réparer ses blessures.
Marianne devinait mes envies. Elle les anticipait. Non pour me faire plaisir – je crois que je l’aurais senti –, mais parce qu’elle les partageait. Chaque attouchement, chaque caresse, trouvait aussitôt chez l’autre un écho. Soudés par la chair, nous étions des siamois. Des Lego s’emboîtant à la perfection.
Je ne pense plus.
Mon cerveau est une plaine désertique. Un vent tiède la balaye. J’aspire ce souffle à chaque mouvement. La brûlure du corps remplace celle de l’esprit. Elle me paraît moins douloureuse.
Je n’ai pas cette chance. La lucidité est parfois un handicap. Souvent, j’envie les cons. Ils ne se posent pas de question.
Je connaissais par cœur la méchanceté des autres pour savoir qu’ils le voyaient partout. Mais j’avais capitulé. Sous le charme, j’aurais fait n’importe quoi.
L’alcool délie ma langue. Je parle de moi, encore, mais pas comme avec la Brillante. Là, je ne suis pas aux aguets. Je ne cherche pas à comprendre, à analyser. J’envoie juste la sauce, en vrac.
Ma déception, ma colère, ma frustration. Je cloue Marianne au pilori de ma rancœur.
On cherche souvent chez l’autre la figure du parent opposé. Pour les hommes, c’est la mère. Celle qui va réparer les blessures de l’enfance, combler le trou de la séparation originelle.
Il y a une issue. Le chemin sera douloureux, mais il me conduira quelque part.
Une séparation est toujours douloureuse. Elle réactive nos fantasmes d’abandon.