Passé simple

On n’évite pas certaines douleurs. On peut seulement apprendre à les apprivoiser.

« Le contrôle n’a qu’une finalité. Il permet de savoir qu’il existe un endroit où l’on peut déposer son sac. »

« La psychanalyse est une chose trop sérieuse pour être confiée à des médecins. » Il en savait quelque chose. Il était psychiatre. Il a exercé à Sainte-Anne pendant dix ans. De toute façon, médecin ou pas, mes patients s’en foutent. Ils n’imaginent pas une seconde me demander une feuille de soins. Ils savent que chez moi, on paye en liquide. C’est la règle. À prendre ou à laisser.Et généralement, ils prennent.

Marianne souffre d’une faille narcissique. Une névrose assez banale, due à sa relation ratée avec un père autoritaire et dévalorisant. Son image intérieure est tellement mauvaise qu’elle doit séduire en permanence pour colmater ses brèches. Elle joue un rôle, s’invente des personnages. Elle cherche dans le regard de l’autre – et de préférence un autre plus âgé – une reconnaissance qui lui a toujours manqué. D’où sa soudaine passion pour moi, puis pour le métier de comédienne. Le pire, c’est que j’ai compris ça très vite. Je me croyais seulement plus fort. Capable de la guérir. Je me suis planté sur toute la ligne.

Deux mois que Marianne m’a planté.

Pas un coup de fil, pas une lettre.

Rien.

Je ne l’ai pas relancée non plus. Je m’imagine mal me traîner à ses pieds, la supplier de revenir. Si elle me reprenait par pitié, ça nous mènerait où ?

Il va pourtant falloir que je réagisse. Je connais les signaux d’alarme de la dépression. Je les ai tous. Plus d’appétit, plus de désir, une fatigue constante et un ennui insondable.

Pour ce qui est de l’ennui, je suis déjà prédisposé. Il me poursuit depuis l’enfance. Toute ma jeunesse, j’ai essayé de le combattre. En vain. Le monde me surprend très rarement et m’enthousiasme encore moins. D’après le pédopsy qui m’avait évalué à l’époque, je suis un surdoué contrarié.

En clair, un branleur, avec des facilités et une grosse lucidité sur les gens et les choses.

Les femmes se tirent pas du jour au lendemain sans te donner un préavis.

Elle me donne un baiser énergique sur la joue. Je la regarde marcher vers la salle à manger, portée par les cris de ses mômes, le sourire de son mec.

Je cherche Léa. Elle doit déjà être dans la cuisine, attablée devant l’éternel poulet frites que mon père leur prépare chaque fois.

Soudain, je me sens très seul.

Leur vie, c’est la petite maison dans la prairie. Leurs problèmes, des histoires de travaux dans la villa somptueuse qu’ils viennent de faire construire dans la région de Nice. Ils ont deux garçons, pas encore ados mais déjà bien remuants.

J’ai beaucoup d’affection pour ma sœur. Elle a deux ans de moins que moi, mais tout le monde pense que c’est l’aînée. Son côté volontaire probablement. Il tire un peu ses traits.

Je me suis dit que je voulais protéger ma fille. Mais ce n’est pas elle que je protège. C’est moi. En inventant cette histoire, je me laisse une porte de sortie.

Après tout, j’avais été séduit par Virginie, du moins au début. C’était une jolie brune, intelligente, drôle, pétillante d’énergie. Et surtout, extrêmement féminine. Sortant d’une relation avec une femme-enfant, j’avais été ravi de rencontrer une femme tout court.