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sur 206 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Historienne, Cécile Desprairies est devenue une spécialiste de la France occupée et collaborationniste. Auteur de nombreux ouvrages historiques sur le sujet, elle aborde pour la première fois le registre romanesque pour raconter l'histoire de sa mère, Française pro-nazie : un récit glaçant qui vient courageusement couronner une vie obsessionnellement consacrée au besoin de comprendre et, loin des discours familiaux, de replacer dans sa réalité concrète la terrible signification des mots « Occupation » et « collaboration ».


Au milieu des années 1960, la narratrice alors enfant assiste chaque matin, dans une ambiance de « gynécée », à de curieuses réunions dans le très chic appartement parisien de ses parents. Sous le patronage de sa mère, véritable « maîtresse de cérémonie », tante, grand-mère et cousine s'immergent avec nostalgie dans l'évocation à demi-mot d'un âge d'or perdu, « cette époque qui leur [a] été favorable », où « elles [ont] su se débrouiller », « une sorte de conte de fées » dont elles se félicitent de manière énigmatique de n'être « pas passées à côté. » Témoin muet d'un « spectacle en langue étrangère, sans sous-titres », la petite Cécile ne comprend pas et s'interroge, le mystère encore épaissi par les étranges marottes maternelles, comme celles de lui faire réciter, « comme une ritournelle », les verbes irréguliers allemands, ainsi que les villes et les fleuves d'outre-Rhin.


Soixante ans plus tard, l'enfant grandie dans les non-dits et un langage qu'il lui aura fallu apprendre à questionner, mettant au jour d'insondables précipices sous la prétendue innocuité des apparences, n'en finit pas d'entraîner toujours plus avant l'adulte qu'elle est devenue dans une insatiable quête de vérité. Ses parents désormais tous deux décédés – « j'ai poussé un discret soupir de soulagement. Enfin, une vie libre pouvait commencer » –, la voici donc qui, brisant le silence, poursuit son cheminement, à la fois personnel sous l'encombrant fardeau laissé en héritage par sa famille, et en faveur du devoir de mémoire avec ce rare et courageux témoignage, non pas du côté des victimes, mais de ceux qui ont profité de la situation en ralliant sans vergogne le camp de l'ignominie.


C'est dans un effroi sidéré que l'on découvre, par-delà les coupables agissements des membres de cette famille pendant la guerre et leur rebond en toute impunité après la Libération, la profondeur des convictions qui, leur vie durant, ne faibliront jamais, confinant même à une forme de folie dans le cas de Lucie, la mère de l'auteur. Jamais remise de la mort, en 1944, de son grand amour et premier mari, le jeune nazi Friedriech dont les travaux sur la biologie génétique faisaient un Mengele en puissance, cette femme farouchement antisémite et germaniste convaincue, si efficace dans sa participation « aux publications du Cahier jaune, réservé aux adultes, et à celles de la brochure Youpino, destinée aux enfants, tous édités par le Commissariat général aux questions juives » et aux campagnes de propagande nazie dans la France occupée qu'on la surnomma la « Leni Riefenstahl de l'affiche » et « la propagandiste », sut, avec son clan, jouer les caméléons quand le vent tourna, mais s'enferma alors, jusqu'à la fin de ses jours, dans l'antalgie d'un déni qui la fit, en privé, s'imaginer sa vie « als ob », « comme si » « ces salauds » n'avaient pas « condamné Pétain », « Laval » ou « assassiné Henriot ». Opportunément remariée à un haut fonctionnaire, pétainiste antisémite reconverti résistant au bon moment et profitant pleinement de l'euphorie des Trente Glorieuses, on la retrouve riche bourgeoise et mère de quatre enfants, pétrie de ressentiment envers ses contemporains dans ce qui devenu un culte à ses idoles nazies, ne vivant plus que de ses réminiscences heureuses de l'Occupation, entre appartements et meubles spoliés par les siens.


Décortiquant la psychologie complexe de sa mère pour un portrait vertigineux où opportunisme se conjugue avec aveuglement, Cécile Desprairies brise silence et tabous pour un récit aussi personnel et courageux qu'édifiant et nécessaire. « À [elle] de combler les blancs, donner du sens, lier les événements, au-delà de ce qui a été. C'est [s]on héritage, la part qui [lui] échoit, [elle] n'en aura pas d'autre. »

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Cécile Desprairies, née en 1957, philosophe, historienne et germaniste de formation, s'est beaucoup attachée à l'étude de l'Occupation allemande en France et sur la collaboration entre 1940 et 1944. Elle peut se prévaloir de plusieurs ouvrages traitant de ce même sujet. En lisant La Propagandiste, son premier roman, il me semble trouver les motifs de son inclination pour cette période, elle cherche la Vérité où s'entremêlent la Grande Histoire et l'histoire intime.

Comment classer ce témoignage qui place, dans les années soixante, une enfant – l'auteure – en présence d'un groupe de femmes dont sa mère, personnage centrale, qui échangent, entre elles, à mots couverts sur la période de la « guerre ». Pourquoi ces murmures ? Les sens en éveil, l'enfant emmagasine des dialogues énigmatiques entrecoupés de mots dont le sens lui échappe, jusqu'au jour où elle découvrira une carte d'identité, datée de 1943, de sa mère portant un nom allemand.

Tous ces mystères ne resteront pas sans conséquence, sciemment ou inconsciemment - l'auteure ne nous le dit pas - sur la vie de cette enfant qui deviendra une jeune étudiante brillante. En qualité de germaniste et historienne, munie des outils intellectuels nécessaires, ses recherches vont lui permettre de clarifier tous ses questionnements. Et c'est de cette atmosphère impénétrable qu'elle tirera ce récit lourd de révélations. A force de décrypter les images de cette Occupation Allemande, elle finira par décrypter la propre histoire de sa mère, collaboratrice zélée au service du nazisme.

Courageusement, l'auteure qui a pris soin de mûrir son projet, publie son premier « roman » qui peut être considéré comme un solde de tous comptes. La forme d'expression choisie s'apparente au langage parlé, loin d'un langage littéraire, ce qui donne le sentiment d'être la confidente de l'auteure. Les atrocités perpétrées au cours de la seconde guerre mondiale, conservent, aujourd'hui, un impact corrosif sur les consciences. Comprendre devient une nécessité si tant est que l'on puisse comprendre. Mais pour l'auteure, découvrir les raisons de ce gynécée où les conciliabules mystérieux n'ont cessé de l'interpeller depuis l'enfance, devient une nécessité absolue. le résultat n'est pas si évident à assumer. Comment justifier les choix de sa propre mère, Lucie, juste au moment où la France bascule entre la soumission, la collaboration ou la résistance. Il est difficile de laisser à distance les engagements d'une mère, partisane d'un investissement sans limite aux côtés d'Hitler, superficielle, arriviste, sans scrupule, qui cherche à profiter de toutes les occasions pour pénétrer le cercle des partisans du national-socialisme. En quelques mots, une mère qui abime la conscience de son enfant en projetant sur lui l'ombre d'un passé collaborationniste.

Dès les premières lignes, j'avoue avoir été enthousiasmée par l'humour caustique de l'auteure à l'égard de sa famille, et notamment, à l'égard des femmes qui, vivant dans le même immeuble, avaient pris pour habitude de se réunir chez Lucie pendant que la petite Cécile écoutait attentivement les potins tentant parfois de retenir un mot, de comprendre le sens de ces histoires : ces réunions que l'auteure nomme avec malice « le gynécée ».

« Eternelles insatisfaites, ces femmes se scrutaient comme des cocottes, traquant leurs plus petites imperfections. Elles n'avaient que leur corps et leur corps parlait pour elle ».
« le gynécée se donnait du « mon chou », « ma choute » ou « ma p'tite » mais ces femmes étaient entre elles plutôt « peau de vache » pour reprendre l'une de leurs expressions ».

Mais parfois, au détour d'une phrase ironique, un passage d'un cynisme effrayant me pétrifiait voire m'horrifiait !

« Les femmes évoquaient la « rafle-du-Vel'-d'Hiv' » sur le mode de la constatation, à la façon d'un épisode météorologique de type caniculaire. « Des juifs ont été amenés là en autobus » disaient-elles. C'était en juillet, il faisait une chaleur étouffante. Il y avait beaucoup de monde, on entendait du brouhaha à travers la verrière. Par un des interstices de l'enceinte, « un juif » avait tendu à ma grand-mère « une montre en or, en échange d'un verre d'eau ». Ma grand-mère avait pris la montre mais n'avait « pas donné le verre d'eau ». C'était dit sans émotion. Je me demandais si j'avais bien entendu. »

Véritable autopsie de son milieu familial, c'est une analyse sans concession de sa mère dont elle tente de sonder les abimes mais aussi les mécanismes qu'elle met en place pour prendre le pouvoir sur les membres de la famille pour tenter d'échapper à la période de l'épuration. Elle organise le sauvetage de la famille sans que personne ne bronche, ce qui m'a inspiré une chanson de Souchon :

« Passez notre passé à la machine
Faites le bouillir
Pour voir si les couleurs d'origine
Peuvent revenir
Est-ce qu'on peut ravoir à l'eau de javel
Des décisions
Le nazisme qu'on croyait éternel
Avant ? »

Tout le récit bénéficie d'un humour noir qui allège le récit et certainement le fardeau de l'auteure Mais malgré tout, au fur et à mesure, je me suis sentie saisie d'un malaise devant autant d'ignominies. Qu'est ce qui peut pousser tous les membres d'une même famille à devenir des monstres, incités par une force invisible, à ignorer que derrière toutes ces spoliations, ces enrichissements, se cache une réalité : il y avait des vies humaines qui étaient sacrifiées, des enfants arrachés à leurs mères, des êtres affamés, avilis, et pendant ce temps, toute cette famille menait grand train au rythme du nazisme.

Toutes ces révélations m'ont particulièrement secouée. J'avais hâte d'avoir terminé ce livre qui reste, néanmoins, un témoignage saisissant sur cette famille de collaborateurs. Aujourd'hui, consciente du contenu de ce livre, je le relirai avec plus de recul.

Je tiens à remercier les Editions du Seuil et l'équipe de Babelio pour m'avoir permis de lire cet ouvrage avant sa parution, le 18 août, raison pour laquelle, nous ne devions mettre nos critiques en ligne qu'à partir du 11 août. Je salue le courage de l'auteure de s'être ainsi exposée pour notre plus grand enrichissement sur la nature humaine.
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Cécile Despariries raconte son enfance, qui, comme si elle-même n'existait pas, se résume finalement à essayer de comprendre les adultes : à six ans, j'assiste, dit-elle, à un spectacle qui se renouvelle chaque jour, sans rien y comprendre, un peu comme une langue étrangère, sans sous-titre et sans explications : la comedia del arte que mes tantes, ma grand-mère et ma mère, dans le rôle de cheftaine, « cerveau et bras armé » rejouent chaque jour.
La mère, Lucie, teinte en blonde comme une walkyrie, menteuse, voleuse, cynique, cupide, exploite les domestiques illettrées, fraude le fisc, s'en vante et mène à la baguette le « gynécée » qui l'entoure.
Une nazie même si le nazisme n'avait pas existé.
Sa fille, après avoir essayé de décrypter certains mots, comme par exemple le « camp de prisonniers » sous « L'Occupation », lieu de l'hôtel particulier appartenant à la famille, ou « morts-en-déportation », qu'elle décortique en «  Départs », « transport », mais vers où, se demande-t-elle ? et pourquoi morts ?
Questions sans réponse, qui pousseront la locutrice du roman à étudier l'histoire et l'holocauste en particulier.
Mais est-ce un roman, ou une biographie de sa mère, toute- puissante, dont elle découvre un jour qu'elle avait un passeport allemand ?
Et qu'elle avait vécu un grand amour avec Friedrich, nazi convaincu, « chercheur en biologie génétique, une spécialité prometteuse pour qui envisage la science sous un aspect racial, prêt à se lancer dans des expériences à la Mengele.
Amour fou de ces deux nazis convaincus, qui ne pensent pas une seconde aux êtres humains que sont les juifs. Pour lui, les expériences sur les souris, les juifs ou les rats, c'est un peu la même chose. « Élégants, actifs, fusionnels, ils ont les mêmes idées, les mêmes ambitions, les mêmes valeurs. Il suffit que l'un pense à quelque chose pour que l'autre le formule. ».
Dans la volonté de promouvoir le Reich, toute la famille coopère autour de Lucie, toutes et tous ont à y gagner, en occupant les immeubles et les châteaux dont les juifs ont été expropriés et massacrés, y compris la grand-mère.
Durant la rafle du Val d'Hiv, « Par un des interstices de l'enceinte, « un juif » avait tendu à ma grand-mère une montre en or, en échange d'un verre d'eau. Ma grand-mère avait pris la montre, mais n'avait  pas donné le verre d'eau ». C'était dit sans émotion. Je me demandais si j'avais bien entendu. »
Ils ont appartenu à un monde de riches, basé sur la spoliation, et cultivé des rapports avec les autres nazis français, dont « le docteur Destouches, plus connu sous son nom de plume, Céline. C'est un homme de terrain, avec lequel Friedrich et l'ensemble de la communauté scientifique partagent les mêmes convictions. Céline est médecin, hait les juifs et promène un mépris quasi universel sur tout et tout le monde. Il n'aime que les chats et sa femme. Ayant une vision biologique des choses, Louis-Ferdinand est obsédé par la race, la décadence. ».
La famille, sous la houlette musclée de Lucie, elle-même sous la coupe de Friedrich, membres actifs de la propagande pendant l'occupation, se fait plus discrète à la Libération, ment et s'achète une conduite « plus blanc que blanc », tout en continuant, jusqu'au dernier jour, à souhaiter une restauration fasciste et à déplorer les morts de Nuremberg et le sort des autres qui n'ont pas eu leur chance.
Déplorer, ou mépriser ou occulter.
Lucie, elle, se cache, part aux USA, revient, se marie avec un pétainiste convaincu, ce qui lui permet de changer de nom, met quatre enfant au monde, dont Cécile. Et continue à mentir.

L'intérêt du livre réside dans les détails que Cécile Desprairies énumère : les journaux, dont le Cahier jaune « couleur attribuée aux juifs depuis le Moyen Âge et par la propagande, la couleur de la rouelle comme celle de l'étoile distinctive. Ainsi le Cahier jaune, c'est un peu comme le Code noir, sous Louis XIV. Un Cahier jaune concernant les « jaunes », avec un « j » pour des juifs que l'on ne nomme même pas, de la même façon qu'il y a eu un Code noir concernant les Noirs. ».

Cependant, autant nous découvrons les pensées racistes des collabos, autant au niveau de l'histoire il est important de rappeler l'existence d'un Lebensborn en Picardie, par exemple, d'évoquer les rafles et les convois, de rappeler l'emprise de la croyance nazie, autant il m'a semblé tout de même un peu fort de parler de sa mère en n'en relevant pas un gramme d'humanité, insensible au doute et incroyablement arriviste. Pour solde de tout compte", selon l'expression de Martine @enjie77.
Un monstre, cette Lucie. Une phrase m'a choquée, bien qu'elle donne une idée exacte de ce qu'a pu être cette mère, qui affirme : «  Ce sont les plus bêtes qui ont été déportées. Quand on est un peu futée, il y a toujours moyen de passer entre les mailles du filet. »
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* FICTION OU REALITE ??? *

Cécile Desprairies est historienne et essayiste, autrice de plusieurs livres sur l'occupation allemande et le régime de Vichy. La propagandiste est son premier roman.

Roman ? Vraiment ?
Et c'est là que l'on doute. La propagandiste, c'est sa mère. Cette famille de collabo, la sienne. Cette histoire, son histoire ! A ceci près que les lieux, les noms ont été changés, et qu'il existe des éléments fictionnels totalement assumés par Cécile Desprairies. C'est en tout cas ce qu'elle dit lors de la présentation de son ouvrage à la librairie Mollat.
Par contre, pour nous, pauvres lecteurs, impossible de démêler le vrai du faux... et quelque part, tant mieux, cela nous permet d'espérer que la réalité est plus douce que la fiction.

La Propagandiste, c'est l'histoire d'une femme, Lucie. Jeune fille, elle va à l'école, et voit ses comparses, juives, bien plus riches qu'elle avoir ce qu'elle n'a pas. Elle en gardera un sentiment de rancoeur. Arrive la seconde guerre mondiale, elle rencontre Friedrich, l'amour de sa vie. Biologiste, raciste, eugéniste, antisémite, un nazi. Lucie embrassera la cause allemande, aidera à la propagande, créera des slogans,.. L'occupation de la France, c'est sa prospérité, le Reich de 1000 ans son idéal.
La guerre terminée, elle ne reniera pas ses convictions mais se débrouillera pour avoir son certificat Persil. Malgré la mort de Friedrich et un remariage, elle vivra dans l'ombre de son amour mais aussi dans ses pensées nauséabondes qu'elle ne reniera jamais. Toute sa vie, elle entretiendra avec nostalgie le souvenir de l'occupation, cette période heureuse de sa vie, de Philippe Henriot qu'elle tente d'apparier à sa famille, de Friedrich...

Nous plongeons donc dans la vie ordinaire d'une famille de collabos ordinaires, d'extrême droite, comme il en existe encore pas mal de nos jours.
J'ai rarement vu une mentalité aussi pourrie et j'espère pour l'autrice que sa mère avait aussi des qualités.



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Lucie était-elle une sorte de walkyrie du IIIème Reich ou simplement une opportuniste ?

Pour un premier roman, fallait-il que l'autrice en ai du courage pour parler de cette mère qu'on ne saurait cacher. Dévoiler ce passé familial n'a pas dû être sans souffrance. Révéler une réalité bien triste à nos yeux maintenant que nous sommes à bonne distance pour « juger », n'a pu se passer sans hésitation pour cette jeune femme.

Le roman se situe durant les Trente Glorieuses, période qui nous a été présentée comme formidable et pléthorique en tout. J'ajouterais qu'elle a également laissé quelques réalités au fond des placards afin que la cohabitation entre les français puissent se refaire une beauté.
Le roman de Cécile Desprairies n'aurait peu-être pas eu le même écho il y a 30 ou 40 ans. Les esprits n'auraient pas pu être assez apaisés pour en parler aussi librement que maintenant.

Je devrais d'ailleurs rectifier toutes mes phrases disant -ce roman- et les remplacer par un terme plus approchant qui pourrait être -ce témoignage historique-. L'autrice l'a certes agréablement présenté, un peu comme une saga familiale, mais, en étant si précise quant au contexte historique général, elle a été bien plus loin. A mes yeux ça a été un plus.

La fille de cette Lucie a découvert, à force de recherches tous azimuts, recherches que nous suivons précisément dans ce livre, que sa mère a évolué dans un monde ou intérêt et opportunité étaient les maitres mots d'une non négligeable partie de français.
Il est facile pour nous autres d'être des anti-pétainistes, anti-vichystes. Mais qui peut être certain, à 100%, qu'il n'aurait pas été manger à l'autre râtelier, celui de la collaboration ? Je dis que je suis certaine que je n'aurais pas pu être de « ceux-la » … mais comment puis-je prétendre ceci alors que je ne connais rien de cette époque ? D'une époque qui pouvait s'avérer être tragiquement mortelle si on se trompait.
Lorsqu'on a pu interroger nos ancêtres, on a décelé dans leurs souvenirs que les choses n'étaient pas si tranchées que cela. Les faits ou les actes n'étaient pas ou tout blancs, ou tout noirs. Ne parlons même pas de la perception différente que pouvait avoir un habitant selon qu'il vive dans telle ou telle région de France. L'objectif était pourtant le même pour tous : survivre, lui et sa famille. Parfois on pouvait rêver de faire quelques affaires. Parfois une famille entière pouvait adhérer au fanatisme nazi, s'attaquer « au juif », s'en pendre à l'autre. L'homme n'est pas que bon, mais ça on le sait. Et dans ce livre, on retrouve une bonne dose de tout cela.

Cécile Desprairies a su prendre une distance émotionnelle suffisante pour raconter une des multiples histoires humaines qui se sont déroulées pendant la seconde guerre mondiale.
Chaque guerre étant différente, chaque situation sera analysée de manière différente par l'habitant : et dans tout ce brouhaha, chaque être humain jouera une partition différente.
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Remerciements à Babelio et aux éditions du Seuil pour ce "roman" reçu en en avant-première, qui sortira en librairie le 18 août 2023.

Texte aussi intéressant historiquement que profondément glaçant, humainement !

La narratrice ( l'auteure) raconte son enfance, et surtout nous décrit dans les moindres détails la personnalité de sa mère, d'origine pied- noir,
" grande gueule", chef de troupe, écrivain public, femme au foyer ayant fait un brillant double cursus d'études de biologie et de droit !

Matinées de l'enfance de l'auteure assistant aux rituels d'un gynécée orchestré par cette mère : soeur, cousine, grand-mère, habitant toutes à proximité. Des non-dits, un racisme latent , pas franchement formulé mais sous jacent, et par bribes, propos voilés, allusions à un passé mystérieux, une autre vie, plusieurs autres vies se laissent apercevoir dans cette figure maternelle insaisissable !

Dérision, et humour fort grincant marquent la plume de l'auteure; ceux-ci sont bienvenus pour aborder ce portrait féminin, auquel il est difficile de s'intéresser, tant il est glaçant, et
autocentré !

L'enfant, la jeune femme, l'adulte (*l'auteure) vont découvrir, comprendre au fur et à mesure le rôle et les fonctions de cette mère brillantissime, ses convictions pro- nazis, sa collaboration précieuse comme
" propagandiste", créatrice d'affiches pour l'occupant...et cette existence débordant de mensonges, de dissimulations et de changements de personnalités...

Une femme exceptionnelle, mais insupportable d'ambition, passionnée par le pouvoir et le contrôle, la manipulation; le mensonge étant une seconde nature, pour sortir des situations les plus périlleuses...
Comme le formule l'auteure en très peu de mots: " Incapable de se sentir coupable, Lucie
" bobarde" et utilise les autres"...

Elle tombe amoureuse d'un homme partageant ses idées , son rêve d'une Allemagne nazie victorieuse.Friedrich est un scientifique brillant mais exerçant ses talents dans les optiques nazies de purification de la race !

"La " Propaganda" a un intitulé programmatique, une sorte d'activité contradictoire qui mêle dans une même fonction la censure, l'information et la publicité.(...)
Lucie doit créer des affiches " françaises ", tout en restant dans la ligne demandée par la
" Propaganda".Un vrai travail d'interprète : produire des propos français à partir de données allemandes. (...)
Lucie fait de l'antibolchevique,de l'antimaçonnique, de l'anti- juif, de l'anti-anglais, de l'anti tout ce qu'on veut, et ses affiches sont acceptées. Elle devine ce qui va " passer" et ce qui ne passera pas."

Comme on peut le découvrir au fil de la lecture Lucie est exceptionnellement brillante, mais glaçante, terrifiante dans ses convictions collaborationnistes, antisémites, où il n'y a aucune place pour la culpabilité ou le doute !

D'autant plus glaçant que ses positions extrémistes lui semblent des évidences et n'ont aucune raison d'être remises en question...
La BANALITÉ du Mal !

Cette spécialiste de la Propagande allemande, à la mort de son Friedrich , est une veuve inconsolable...mais il lui faut sauver sa peau. Elle se mariera avec un homme partageant, dans les grandes lignes, ses idées, sans les excès de Friedrich...
Elle aura des enfants qu'elle confiera à d'autres personnes, étant dénuée de tout élan et d'amour maternel ....

Personnalité complexe, vénale, ambitieuse, séductrice, dénuée de conscience morale ou du minimum d'empathie pour ses semblables. ..

Difficile de ne pas trouver cette femme à la personnalité trempée , profondément glaçante et amorale, lisse, sans affect, insaisissable à jamais...!

On peut comprendre à quel point le choix de l'auteure pour la dérision et l'humour très noir sont les seuls moyens de réussir à raconter ce qui n'est guère racontable !!!

Une phrase retenue dans ce texte pourrait caractériser ensemble : " Friedrich ne se racontait pas, Lucie ne le racontera pas."

On peut percevoir aisément à la suite de la lecture de ce témoignage délicat, les origines de la carrière d'historienne de Cécile Desprairies, son exigeance de " chercheuse" sur cette période historique complexe de la seconde guerre mondiale et la montée des doctrines nazies même validées par des esprits brillants...?!

Cet ouvrage interpelle toujours aujourd'hui...dans notre actualité : la puissance de la propagande , du mensonge historique qu'on assène aux individus, à qui on enlève ou on condamne tout esprit critique... Glaçant, terrifiant...et semblet--il , trop malheureusement "efficace"!?


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Une fois refermée « La propagandiste » de Cécile Desprairies, la réflexion qui m'est tout de suite venue à l'esprit : il n'a pas dû être facile d'écrire ce roman pour l'autrice. Même si celle-ci est une historienne germaniste spécialiste de la période de l'Occupation en France, il s'agit là de l'histoire de sa propre famille et en particulier de sa mère Lucie, personnage central de cette fiction "vraie".

Dans le Paris des années soixante, Colline la narratrice, assiste aux réunions familiales qui se tiennent au domicile de sa mère. Y participent principalement les femmes (tantes, cousines, grand-mère…), sorte de « gynécée » quotidien durant lequel on parle chiffons, potins du jour, conversations légères dans lesquelles se glisse de temps en temps et à mots couverts la période de la seconde guerre mondiale. Ne comprenant pas tout, Colline est intriguée par ce qu'elle entend. Mais de fil en aiguille et le temps passant, elle commence à percevoir les mensonges et les non-dits de cette mère si énigmatique.

Qui est vraiment sa mère, Lucie ? Qu'a-t-elle fait précisément avant ?

Devenue adulte et historienne, Colline va rassembler les pièces du puzzle et mettre à nu le passé collaborationniste de sa famille et particulièrement de sa mère, en dénonçant par l'intermédiaire de ce roman la part plus que sombre de sa personnalité et les choix qu'elle a fait durant cette période.

Lucie, antisémite et pronazis comme tous les membres de sa famille, va rencontrer et tomber profondément amoureuse de Friedrich, alsacien, nazi jusqu'au bout des ongles, acquis aux thèses racistes de Joseph Mengele. Mariés, habitants en plein Paris dans un appartement confisqué aux juifs, ils traverseront cette guerre en tant que collaborateurs zélés (soirées à l'ambassade allemande en compagnie des hauts dignitaires nazis, travail au sein du journal collaborationniste et antisémite« Signal », etc…) et ce jusqu'à la libération durant laquelle le vent tournera.

Passant avec succès à travers les mailles du filet, tout comme sa famille qui se dispersera et se montrera on ne peut plus discrète, Lucie devenue « veuve à jamais inconsolable » finira par se remarier, devenir mère sans aucune conviction, ni amour maternel, continuant tout le restant de sa vie à « vouer aux gémonies », juifs, communistes….bref tout ceux qui n'ont rien compris aux « valeurs si grandes » de la race arienne et à pleurer « son amour perdu ».

Habituée à lire des ouvrages (romans, biographie…) sur la seconde guerre mondiale, j'avoue que c'est le premier pour moi concernant la collaboration française.

C'est sans concession aucune que l'autrice aborde ce thème « douloureux et honteux » pour la France. Avec un humour noir et caustique, elle réussit à décrire ce qui parait irracontable à travers le personnage complexe de sa mère : froide, vénale, amorale, dénuée de toute empathie envers ses semblables et qui restera fidèle jusqu'à la fin de sa vie à l'idéologie nazie.

Bravo à vous d'avoir eu ce courage et de nous rappeler ce passé collectif que l'on aurait trop tendance à oublier et qui, me semble-t-il, peut ressurgir à n'importe quel moment dans notre pays…cela fait peur !

Un grand merci à Babelio et aux Editions Seuil sans lesquels je n'aurai peut-être pas eu l'idée de lire ce roman.
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La propagandiste est un roman que j'ai reçu lors d'une masse critique privilégiée je remercie donc Babelio et les éditions du Seuil pour cet envoi.

Ce récit très documenté sur le régime de Vichy ne fait pas dans la complaisance. C'est un point que j'ai apprecié.
La narratrice nous raconte l'histoire de Lucie sa mère qui , durant la seconde Guerre mondiale, a été collaboratrice.
Elle le découvre en l'écoutant parler avec ses amies. Elle saisit des mots qu'elle ne devrait pas, qu'elle ne comprend pas toujours mais qu'elle decryptera progressivement.
Son père Charles, sera un pâle remplaçant de Friedrich que Lucie a follement aimé, admiré, adulé. Ce Friedrich, antisémite notable, aura toujours eu, même mort, LA place dans le coeur de Lucie. Place qui n'avait de secret pour personne,
" mon frère et moi, "enfants"de Friedrich, avons subi un conflit de loyauté. Nous n'étions certes pas ses enfants, mais cet homme avait été tellement présent dans notre enfance et dans la vie de notre mère. Il avait été présent dans celle de notre père aussi, au point qu'il avait demandé que figure, en latin, après sa mort, sur la tombe de son épouse la mention "À celle qui a été infidèle", une épitaphe qu'il avait légèrement modifiée dans ses dernières volontés en : " À celle qui a été infidèle une seule fois" - toujours en latin."

Ce livre est pour moi plus un récit qu'un roman et je l'ai lu en mettant toujours à distance les propos de la narratrice. C'est bien écrit, on ressent parfaitement l'ambiance qui règne dans cette maison haussmannienne puis les sentiments ambigus et malsains, les non-dits, les mensonges. C'est un roman courageux qui offre un regard critique sur la mére de la narratrice, sans complaisance ni "acharnement"ce qui aurait pu vu le thème.

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Oser implique toujours l'idée de risque.
Il suffit de lire les différents avis sur ce livre.

Roman est-il écrit, ce terme comporte un malaise.
La fiction ne peut que déranger lorsque l'on traite d'un pareil sujet.
Aussi faisons comme si…

Comme les protagonistes camouflant leur identité lors des années noires, les noms, lieux, etc… apparaissent floutés.

Lire ce livre, c'est entendre ce que veut bien nous dire l'auteure, c'est tenter de comprendre sa démarche en nous livrant des moments familiaux déshonorants.

Édifiants : des propos qui provoquent la nausée, une collaboration revendiquée des décennies après, une histoire d'amour éternelle construite sur fond de nazisme, des retournements de veste écoeurants, un antisémitisme assumé, une éducation orientée donnée aux enfants par une mère sans véritable fibre maternelle…

Et qui est vraiment cette mère, ancienne collaboratrice, la bien-nommée « Propagandiste » patronnant un gynécée remuant les années passées, faisant « chanter » un oncle, s'y entendant dans la domination sous les regards observateurs d'une petite fille qui deviendra germaniste et historienne de l'Occupation en France.

Portrait sans concessions d'une famille, de son entrée du mauvais côté, des conséquences habilement évitées, des idées prolongées.

On ressort écoeuré en pensant qu'un tel livre est nécessaire pour comprendre et pénétrer un mode de pensée, une prolongation de ces idées nauséabondes qui refleurissent en nos jours incertains.
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Avant de vous parler du livre, je voudrais apporter quelques définitions de compréhension.

En effet, pour comprendre ce que veut dire propagandiste, il faut comprendre ce que veut dire propagande.

La propagande est un ensemble de techniques de persuasion mises en oeuvre pour propager, par tous les moyens disponibles, une opinion ou une idéologie. Ces techniques sont exercées sur une population afin de l'influencer, voire de l'endoctriner. Une simple image, une information, une chanson, tout peut être utilisé comme propagande.

À partir de cette définition, on peut comprendre donc ce que veut dire le titre.

Cécile Desprairies, historienne, a écrit plusieurs ouvrages sur l'Occupation allemande en France et sur la Collaboration. Fort de cette vision globale, « La propagandiste » s'inscrit dans une suite du cheminement de l'auteure vers l'acceptation du rôle que sa famille a eu pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il n'est pas simple de porter les fardeaux que la famille laisse en héritage et à travers ce livre dans lequel l'auteure décompose, analyse toutes les bribes, les miettes récoltées au gré des discussions, pour reconstituer l'histoire de cette mère propagandiste pendant l'occupation. Les petits arrangements que sa famille a acceptés, provoqués pour vivre, s'enrichir parfois.

Il faut reconnaître un certain courage à cette historienne pour briser la parole, les non-dits sur sa famille. Peu de personnes osent le faire, de nombreux témoignages existent sur les victimes, en tant que victime, mais trop peu ou pas du tout, sur ceux qui ont profité du système durant cette période.

Si l'auteure brise ce tabou aujourd'hui, c'est qu'elle a fait du chemin avec les différentes recherches qu'elle a faites et certainement que le fait que ceux qui ont collaboré ne sont plus de ce monde, lui rend la tâche moins ardue, mais elle n'est pour autant facile.

La propagandiste retrace de manière romancée, l'histoire de sa mère, de sa famille, souvent centrée sur les femmes d'ailleurs, que Lucie mène à la baguette. Son exaltation de faire partie du peuple élu qui va pouvoir changer le monde, aux côtés de l'amour de sa vie Friedrich. Mort, mais pourtant toujours aussi vivant présent, grâce à la mémoire que Lucie va entretenir durant plus de 50 ans, au point de vivre une vie de couple réelle mêlée à celle fictive qu'elle aurait dû vivre. Au point d'attribuer des enfants à cet homme mort, alors que le père, bien vivant reste effacé. Effacé par amour ? Par désintérêt ? On ne démêle pas facilement les fils de ce ménage à trois qui se vit en couple, tout en étant célibataire.

La propagandiste et à la fois un livre étrange, triste et une mise à nu pour enfin se construire. Comme un devoir de mémoire que Cécile Desprairies, offre non pas à sa famille, sa mère, mais à tous ceux qui auraient souffert, seraient mort à cause d'eux.

J'ai été très touchée par cette petite fille, Cécile Desprairies, que l'on sent bien trop présente, tiraillée entre les questions et la quête d'amour inconditionnelle qu'un enfant est en droit d'avoir.

La propagandiste a usé de la désinformation pour attiser la haine de l'opinion publique, développée l'extrémisme et les discours haineux et a continué dans son microcosme familial sur le même modèle, continuant à entretenir une collaboration jusqu'à la mort, comme cette promesse : « Jusqu'à ce que la mort nous sépare »
Lien : https://julitlesmots.com/202..
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