J’aurais pourtant laissé sur la bouche d’un homme
La trace rouge de ma ferveur
Le sang issu de mon ventre
Le jus inné de mon corps
Il aurait crié en se voyant
Dans le miroir de mes yeux
Il serait comme tous les hommes
Terrifié du sang des femmes
J’aurais reçu à mon tour
Toutes ses humeurs
Sans frémir
Pourquoi n’en ferait-il pas de même ?
Mon sang menstruel est un don perdu
Ainsi ai-je parlé
Dans la confusion et la fusion de ses souvenirs, le tricot des certitudes se défile. Le tricot de la vie se troue et se désintègre. Plus rien pour nous réchauffer, ni lui, ni moi.
Si je n’ai hérité de ta tristesse que pour la transmettre à mes enfants, je t’en veux. C’est là une chaîne que nous n’avons pas choisie.
Cette servitude à vie est effroyable. Comment s’en sortira-t-il ?
Tout commence par la perte des eaux.
L’outre se désemplit pour livrer le passage à une entité complète en soi. Pas un corps étranger ; un bourgeon, une ébauche, une excroissance intime, qui, une fois émergé, devient cet autre auquel seuls nous rattachent les liens de l’amour et du désarroi.
Ce que tu as toujours écrit
Dans tes livres c’était toi
Ton corps tes reins tes lèvres
Tes mains tes seins ta pelure
Ton ventre tes cuisses ta fêlure
Il est temps de te réunir
Toutes les autres
Tous les autres
Toutes tous
Douleurs
Morts
Mots
Moi(s).
Les mots rythment mes heures, parfois d’une grande joyeuseté, parfois comme une condamnation, le plus souvent traversés d’un souffle de mélancolie, voire d’angoisse. Ils sont une constance à travers les changements et les bifurcations. La seule constance, peut-être. Ils sont une passerelle, mais aussi un rempart. Ils disent, et à la fois contredisent, et à la fois déguisent. Le gouvernail et les voiles de notre barque désarrimée. Ils m’ont permis les plus beaux voyages ; mais aussi cette contemplation des ténèbres qui a dévoré une si grande part de ma vie. Je m’y tiens en un équilibre précaire. Mon balancier, de plus en plus, se gauchit. D’un côté, le vide, qu’il me reste à explorer, quitte à y être aspirée et broyée. De l’autre, un désert auquel me condamneraient le silence des mots et l’abandon de l’écriture. Un désert qui porte ton visage.
Alors dis-moi, a-t-il dit
Explique-moi ta peur de l’incertitude
Elle cogne et cogne encore
Comme un bec d’oiseau
Sur un miroir d’eau
Dépasser les bornes
Aller plus loin que mes orbes
Vivre ce que ne pourrais
Connaître ce que ne devrais
Être telle que voudrais
Offrir mon corps nu
À la flagellation
Tout désir est incartade
Sève buissonnière
Goutte de laitance
Dans ma bouche offerte
Tout désir est incartade
Écrire est un acte monstrueux. Aucune décence par rapport aux secrets.
La ligne blanche
- celle des anciennes mythologies –
M’a retenue
Sur la corde raide des vertus
Pas plus loin pas avant
Là se situe le basculement
Cette créature hardie
T’emportera sur des chemins de sang
Ce sang issu de ta malédiction
Et de celle de toutes les autres
Je me suis vue écartelée
Démembrée dépecée
Mais pas l’héroïne sadienne
Qui m’attirait
Et j’ai couru, timorée,
Vers les murailles qui m’attendaient
Mes livres sont devenus mon prétexte
Chacun de ses mots avait le poids de son silence.