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Les exportés, quel drôle de titre pour ce récit témoignage de Sonia Devillers, qui raconte l'histoire de ses grands parents maternels. Je connaissais jusqu'ici la journaliste pour ses chroniques sur les médias pleines de peps sur France Inter et la découvre ici romancière pour nous livrer ce témoignage important sur une histoire quasi méconnue et pourtant pas si loin de nous dans l'Europe de l'Est voisine. Car les exportés ce sont bien des personnes, même si justement le terme surprend : ce sont les Juifs de Roumanie que pendant des années le régime communiste a échangé contre devises sonnantes et trébuchantes, matériel agricole et animaux d'élevage destinés à améliorer la productivité et l'autonomie alimentaire du pays, Nicolas Ceaucescu ayant même déclaré : « les Juifs et le pétrole sont nos meilleurs produits d'exportation ».

Les exportés est un récit que j'ai lu en apnée et qui m'a plusieurs fois conduite à me demander si tout ça était vraiment vrai, si des faits aussi surréalistes, aussi abjects, aussi inimaginables avaient vraiment pu se passer en toute impunité et sans que leur récit ne soit parvenu jusqu'à nous, en pleine Europe, quasiment jusqu'à la fin des années 80 et la chute du régime Ceaucescu. Sonia Devillers déroule les faits de manière chronologique en remontant le fil de l'histoire de ses grands-parents depuis l'avant guerre. C'est un récit sans pathos, très factuel et qui se lit agréablement malgré encore une fois l'horreur de certains événements évoqués. On est d'abord ébahi devant insouciance du couple d'aristocrates que forment ses grands parents, qui semblent totalement inconscients du destin tragique des juifs autour d'eux, eux qui se sentent avant tout Roumains et faisant partie de l'élite, qui ne sont pas pratiquants et ont quasiment oubliés leurs racines juives. On est aussi horrifiés devant la succession de régimes autoritaires en Roumanie, qui passera d'alliée à adversaire de l'Allemagne nazie et préservera une partie des juifs de ses villes tout en massacrant ceux des campagnes. Et enfin on a du mal à croire à ces persécutions qui continuent bien après la guerre alors que le monde entier s'émeut de l'Holocauste et où le régime choisira cyniquement de monnayer la vie des juifs souhaitant émigrer en les échangeant contre des animaux et du matériel.

Sonia Devillers trouve le bon ton pour nous raconter cette incroyable histoire, sans pathos, toujours très factuelle et très précise avec juste le bon dosage d'explications historiques pour nous permettre de contextualiser sans nous noyer dans les détails. le plus bouleversant dans son récit est la manière dont tous ces événements ont été occultés par ceux qui les ont vécus, ses grands parents voulant oublier ce qu'ils ont ressenti comme une déchéance et leurs deux filles comme un traumatisme absolu au point d'être incapable de raconter à leurs enfants leur histoire. L'auteure devra mettre tout son talent de journaliste dans ses recherches pour rencontrer les rares témoins de cette époque et essayer de reconstituer cette histoire, son histoire dont elle a été privée. Un livre fort et un témoignage nécessaire pour ne pas oublier la manière dont certains humains et certains régimes ont traité d'autres êtres humains et pour faire la lumière sur des événements qui ont brisé des vies en toute impunité.
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Sonia Devillers rappelle (je devrais dire : m'apprend) l'histoire violente et chaotique de la Roumanie, conservatrice et antisémite dans les années 1930 ; alliée de l'Allemagne pendant quatre ans, avant de passer du côté des Alliés pour les neuf derniers mois de la guerre, et de se convertir au communisme dès la fin du conflit. Et pendant tout ce temps, un antisémitisme violent, barbare, que Lionel Duroy a déjà décrit dans « Eugenia ». Pourtant le souvenir va en être occulté rapidement et complètement par le nouveau régime, et même par ceux qui en ont été victimes et qui souhaitent regarder vers l'avenir et s'insérer dans la nouvelle société dont le modèle est proposé. Les grands-parents maternels de Sonia Devillers sont de ceux-là.
Mais progressivement, en une dizaine d'années, va exploser une nouvelle émergence de l'antisémitisme, telle que les grands-parents de Sonia Devillers n'auront plus d'autre choix que de quitter la Roumanie avec leurs deux filles et une grand-mère.
Cependant la Roumanie est fermée et la Securitate fait en sorte que personne ne sorte du pays. Alors, reste le recours à un passeur. Un passeur qui se fait payer, évidemment. Mais qui a élaboré un procédé plus complexe, et très certainement plus rémunérateur : les juifs paient une partie du prix de leur passage, le passeur acquiert des cochons, des moutons, des machines-outils, et les remet à l'Etat roumain qui en contrepartie, laisse sortir les juifs du pays. Ceux-ci remettent alors au passeur le solde du voyage.
Les archives consultées par Sonia Devillers font état très clairement de ces « marchés » qui existèrent dans les années 1960, avec marchandages et renchérissements quand ceux qui voulaient quitter la Roumanie avaient particulièrement déplu au régime.
Sonia Devillers raconte l'incroyable revirement de Ceausescu qui, arrivant au pouvoir en 1965, et apprenant « l'existence de ce négoce dont il ignorait tout » pique « une colère d'anthologie » et en interdit la poursuite. Pour se raviser deux ans plus tard et relancer le mécanisme, au motif que « les juifs et le pétrole sont nos meilleurs produits d'exportation ».
Après la mort du passeur, Israël est devenu l'interlocuteur direct de l'Etat roumain, et a continué à faire sortir des juifs de Roumanie, contre paiement en dollars. En toute discrétion.
Le livre alterne ces données historiques et « commerciales » dont Sonia Devillers a retrouvé les traces incontestables, avec des chapitres très évocateurs sur la vie de ses grands-parents, de sa mère et de sa tante, en Roumanie et à leur arrivée à Paris : ce qu'elle en rapporte est plein de charme, ou d'angoisse, selon les périodes évoquées.
Un livre effarant par ses révélations ; et l'histoire d'une famille haute en couleur (je ne peux m'empêcher d'imaginer Gabriela, la grand-mère de Sonia Devillers, sous les traits d'Edwige Feuillère) et infiniment attachante.
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De la Roumanie, je n'avais qu'une seule image, celle de l'arrestation et de l'exécution du couple Ceausescu. Trop jeune pour comprendre les origines de cette violence et pourtant marquée, j'avais effacé cet événement et du même coup tourné la page de l'histoire de la Roumanie. L'ignorance protège mais malheureusement se nourrit de non-dits, de secrets inavoués, de douleurs psychologiques. Elle gangrène ainsi les descendants de victimes. Avec son roman, Sonia Devillers délie avec délicatesse et minutie le fil de l'histoire de sa famille expatriée ou plutôt exportée de la Roumanie dans les années 60, échangée contre des porcs parce qu'elle est juive. Profondément affectée par cette découverte, c'est en journaliste talentueuse qu'elle nous confie sa quête. Elle n'omet rien sur l'histoire d'un pays aux frontières sans cesse modifiées au gré des alliances, sur la montée du fascisme et ensuite sur celle du communisme et sur les événements tragiques vécus par le peuple et plus particulièrement par les juifs. Tuerie, emprisonnement, travaux forcés, déportation puis exportation rien ne leur est épargné. le pouvoir change mais leur sort est toujours le même. La Roumanie peinant à reconnaître son crime envers les juifs, ce roman devient indispensable pour faire la lumière sur des manigances inimaginables après les horreurs de la guerre. L'avidité et la bêtise humaine ne connaîtront malheureusement jamais de fin. Un roman fort qui m'a profondément ébranlée.
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Je ne connaissais Sonia Devillers que pour l'avoir quelques fois écoutée sur France Inter . Ce premier livre dans la droite ligne de ce qu'écrivit Matatias Carp sur la manière dont furent traités les juifs sous la gouvernance de Gheorghe Gheorghius Dej et sous celle de Nicolae Ceausescu .

le titre " Les exportés " fait référence à la phrase prononcée par Ceausescu : "Les juifs et le pétrole sont nos meilleurs produits d'exportation " . Cynique mais collant de près à la réalité puisque sans vouloir que cela se sache afin de ne pas nuire à l'image de la Roumanie , quelques juifs roumains fortunés furent échangés contre des animaux destinés à améliorer la race de ceux élevés sur place . Livre instructif sur une période de l'histoire roumaine surement peu connue du grand public .
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La journaliste Sonia DEVILLERS a mené des recherches sur un secret familial concernant l'histoire de ses grands-parents maternels. Et à la découverte, au-delà du destin familial, c'est le sort de milliers de juifs roumains qui réussirent à quitter le pays par un ignoble marchandage (échanger des juifs contre du bétail). Oui, vous avez bien lu ! Par l'intermédiaire d'un passeur sans scrupules qui en fera un commerce très rentable.
C'est aussi à travers ce récit, l'antisémitisme d'un pays qui nous est décrit avec force et précision, s'appuyant sur un travail méticuleux (les listes d'échanges notamment sont terribles et ahurissantes !).
Sonia DEVILLERS signe un texte puissant, d'une grande sobriété qui bouleverse, répondant avec une grande précision, aux questions que ces faits historiques méconnus soulèvent.
L'édition poche bénéficie aussi d'une postface fort intéressante suite à la sortie du livre et du retour de roumains non juifs n'ayant pas eu "la chance" de quitter la dictature sous Ceaucescu.
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Imaginez un jour découvrir, dans un livre d'histoire, le nom de vos grands-parents et de votre mère en face d'un nombre de porcs à livrer ! La journaliste de France Inter Sonia Devillers livre un récit à la fois poignant, percutant et passionnant. En se replongeant dans le passé de ses grands-parents, elle décrit la Roumanie du XXe siècle et l'histoire méconnue et aberrante de ces juifs qui furent l'objet d'un échange contre du bétail sous le régime communiste.
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Ce livre est pour une lecture indispensable.

J'ai été choqué d'apprendre que durant pratiquement trente ans au centre de l Europe l horreur existait encore pour le peuple Juif et aucun média n'a enquêté pendant toutes ces années.

Merci à Sonia Devillers d'avoir mis en lumière son histoire familiale mais l'histoire d'un pays, la Roumanie.

Dans ce récit, il y a de nombreux questions qui sont mise en lumière:
-Mon histoire n'est pas forcément celle de mes parents?
-L 'intégration dans un autre pays?
-Le choix d'un pays pour un aller sans aucun probable retour possible?
-De l'histoire d'une famille que vais je laisser à mes enfants?
-Ne pas avoir la même maternelle que ses propres parents?
-Le poids de l'oublie pour pourvoir avancer sur les génération futures?

Ce livre m'a fait penser à deux livres , la carte postale pour le récit familiale et la religion Juif et la ferme des animaux pour mettre en oeuvre l'oubli du collectif.

Le communisme a fait rêver de nombreuses personnes à l'ouest de l'Europe et à l'Est , les peuples vivaient l'horreur. Quel paradoxe !

J'ai aimé la final du récit , elle raconte une scène digne d'un films avec une personne qui est sur les listes.
Ce document mérite à mes yeux qu'un(e )grand réalisateur(triste) fasse un magnifique sur cette histoire.
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Un livre absolument édifiant dans lequel la journaliste Sonia Devillers se penche sur l'histoire de sa famille d'origine roumaine, en particulier sur l'exil de ses grands-parents, de son arrière-grand-mère, de sa tante et de sa mère, qui ne lui ont jamais rien raconté ni dévoilé.

Arrivés en France en décembre 1961, l'autrice découvre avec horreur qu'"ils n'ont pas fui". Ils ont été exportés comme de vulgaires marchandises. "On les a laissés partir, ils ont payé pour cela une fortune." Ce "lot de cinq personnes" a été mis à prix et monnayé contre des bestiaux, des bêtes à haut rendement, de préférence des porcs dont le pays avait un énorme besoin ; pas n'importe lesquels, non, des porcs Landrace, une espèce supérieure et pure...

Ce trafic d'êtres humains, ce processus de troc bien organisé, a commencé dès les années 50 dans la Roumanie communiste puis s'est poursuivi durant plusieurs décennies sous la dictature de Nicolae Ceaușescu. Celui-ci ne déclarait-il pas ? "Les juifs et le pétrole sont nos meilleurs produits d'exportation."
C'est dans les années 2000, longtemps après la chute du Rideau de Fer, que les archives de la Securitate furent accessibles et dévoilèrent leurs monstrueux secrets.

Comme tout enfant d'exilé ou d'immigré, Sonia Devillers a un souci d'identité et d'héritage. Sa famille s'étant enfermé dans un mutisme volontaire, elle ne disposait que peu d'éléments concrets pour comprendre ce qui s'est réellement passé. Mais elle a réussi, grâce à des recherches appropriées, malgré des souvenirs douloureux, des non-dits, des blocages psychologiques, a reconstituer l'histoire familiale enfouie. Son livre, parfaitement documenté, écrit dans un style sobre est puissant et dérangeant.
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« Exportation » renvoie à ce qu'un Etat poduit sur son territoire et vend à l'étranger, pour le profit. le terme ne s'utilise normalement pas pour des personnes, pour des citoyens. Or, ce titre avec sa connotation économique et géographique désigne bien la réalité historique vécue par les grands-parents de l'autrice qui réalise ici un véritable travail d'enquête.
Ses grands-parents ont donc été l'objet d'un troc, leur exil de Roumanie contre des cochons. La formule est brutale, elle est répétée plusieurs fois pour que le lecteur puisse intégrer toute la violence des faits derrière, violence physique, politique, matérielle, et surtout antisémite et cynique. Les dirigeants roumains ont cherché à s'enrichir en vendant leur population juive, c'est de la real-politik dans un contexte de Guerre Froide, bâtie sur un antisémitisme ancien. Toute une partie de l'histoire de l'Europe défile sous nos yeux dans cette enquête, des États autoritaires des années 30 à la Seconde Guerre Mondiale, au génocide des juifs et à la Guerre Froide avec la division des deux blocs.
Face à ces événements que l'on peine à concevoir, le récit n'est pas froid et désincarné, au contraire, puisqu'il repose sur l'histoire personnelle de la famille de l'autrice, qui dresse un portrait émouvant de sa mère, traumatisée par un exil dans l'adolescence au point de refuser sa langue maternelle, et surtout un beau portrait de ses grands-parents. Intellectuels cultivés et musiciens, bourgeois cosmopolites, véritables communistes... Dans ce couple, Gabriela, la grand-mère de Sonia Devillers, a une personnalité si forte qu'elle semble dominer son mari, fière et consciente de sa valeur. Mais un élément de leur identité, si secondaire pour eux, si important pour les gouvernants, les relègue comme des sous-citoyens : leur judéité, même s'ils ne sont pas pratiquants, même s'ils ne sont pas vraiment croyants. Et c'est cette judéité qui détermine dans cette Europe si troublée leur destin.
J'ai donc été très intéressée par cette « exportation » de juifs par la Roumanie aux Etats de l'Ouest ou à Israël pour en tirer un bénéfice, en dollars ou en animaux d'élevage. Les éléments sont bien amenés, pas besoin de connaissances préalables sur cet Etat qui n'est sans doute pas le premier auquel on pense quand on imagine le Bloc de l'Est. Mais surtout, j'ai été touchée par les portraits de famille, avec les questions de mémoire et de transmission. Sonia Devillers ne sait rien de la Roumanie et de Budapest, elle ne parle pas sa langue « maternelle » dans le sens de la langue de sa mère, sa langue est le français, la langue de sa patrie. Néanmoins, elle ressent une forme de traumatisme, 3ème génération de rescapés de la Shoah, alors que ses grands-parents eux-mêmes ne se reconnaissaient pas comme tels, eux qui n'avaient pas l'impression d'avoir échappés au génocide – alors, que d'un point de vue historique, les preuves sont là, ils ont été persécutés, ils ont perdu leur travail, et ils auraient pu être tués comme certains de leurs proches. Ces réflexions sur la mémoire et la famille m'ont beaucoup touchée.
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Dans les ExportésSonia Devillers raconte la vie de Harry et Gabriela, ses grands-parents, et aborde de nombreux sujets se rapportant à la politique et la vie en Roumanie des années 1930 à 1961, date à laquelle la famille Deleanu - nouveau patronyme choisi par "appétit de l'avenir et par conviction" - est "exportée" en France. Elle dit les conditions invraisemblables dans lesquelles ce départ a pu avoir lieu " je dirais que mes grands-parents et tant d'autres ont été transformés, à leur insu, en maillons d'une chaîne alimentaire dans laquelle un être humain atteindrait un rang supérieur au cheval, mais inférieur au cochon. le cochon, suprême prédateur" (p. 174).
J'ai complété ma lecture en écoutant sur YouTube un entretien entre Sonia Devillers et Pierre Coutelle (librairie Mollat). J'ai passé une heure très intéressante à l'écouter parler avec enthousiasme de son livre, d'évoquer avec tendresse ses grands-parents, sa mère et sa tante.

Livre très intéressant particulièrement sur le plan historique en dévoilant des informations inqualifiables sur le sort des juifs roumains.
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