Citations sur Le cycle de Syffe, tome 1 : L'enfant de poussière (143)
Ma fatigue s'était envolée. Remplacée par l'aiguillon d'une inquiétude désabusée.
Nageur, tu es venu en pays libre, où aucun homme ne clamera qu'il est ton maître, mais où tous clamerons que tu es ton propre esclave. Tu ne trouveras ici nul seigneur pour entraver ton corps, et nul prêtre pour entraver ton esprit. Tes chaînes t'appartiennent désormais, toi qui est le moins à même de les briser.
Paroles adressées à un esclave carmide évadé,
attribués à un Var anonyme.
Ils sont venus de loin,
Comme le vent de cendres
Qui effrite la pierre.
En leurs bouches étaient
Des mots étranges,
Qui courbaient les arbres.
Ils ont tué nos guerriers,
Ils ont volé nos enfants,
Ils ont pris nos terres.
Ce peuple a fui,
Ce peuple n'oublie pas.
Chant Païnote
Traduit du clanique
La yourte de Frise, dans laquelle nous nous retirions le plus souvent pour nous garder du froid, était petite, mais chaude et confortable. Il y régnait une odeur prégnante de agréable de graisse et de cuir. L'armature de bois flotté était intégralement décorée de gravures effilochées. Il était littéralement impossible de s'y déplacer sans courber la tête, tant l'endroit regorgeait de trésors suspendus, des charmes d'os, de bois ou de chitine, des ouvrages merveilleux, des breloques et des souvenirs oubliés qui cliquetaient et tintaient doucement au gré des courants d'air. C'était comme si, au moindre mouvement, la yourte tout entière enflait pour respirer d'un souffle musical. Dans cet univers bercé de sons étranges, les histoires du vieux Frise prenaient pour moi une consistance presque physique. Je ne tardai pas à découvrir que les bonheurs et les tragédies de sa vie passée, et l'aisance et le recul avec lequel il les narrait, me distrayaient suffisamment pour que je puisse amorcer mes propres deuils.
S’il fut un brillant orateur, un puissant guerrier et un tacticien audacieux, Bai ne sut pas faire preuve du même génie lorsqu’il fut question de gérer son nouveau royaume. Il est vrai que le Royaume-Unifié prospéra durant son règne, mais cela tenait davantage des victoires militaires passées et de la politique individuelle des primeautés que d’une réelle volonté du roi. Bai passa les quinze dernières années de son règne à résoudre de petites querelles entre primats et à s’agripper vainement au pouvoir qui lui filait entre les doigts. Une fois sa guerre achevée, son poids politique se réduisit comme peau de chagrin, et au fil des ans son incapacité à empêcher les primeautés de revenir peu à peu à leurs traditions d’indépendance devint évidente. De plus en plus isolé, il finit par sombrer dans la paranoia, n’osant nommer de successeur, même sur son lit de mort. C’est ainsi que le Royaume-Unifié mourut comme il était né : sur un souffle du roi Bai.
Évidemment, nous autres, les quatre orphelins de la ferme Tarron, ignorions tout de cela. Dans nos esprits, un vieillard couronné venait de crever quelque part où nous n’irions jamais et, comme nous ne comptions pas sur le vieillard en question pour nous nourrir ou nous offrir l’aumône, il s’agissait d’un problème qui ne nous regardait pas. Bien sûr, à notre grand dépit, les Corne-Brunois n’étaient pas du même avis que nous.
Cela m’a permis de saisir que, derrière les massacres, les rapines et les viols, derrière les pires horreurs que le monde peut contenir, il n’y a ni mal, ni démons, ni mauvais sorts, mais seulement la folie d’hommes désespérés, dont la peur a fait des monstres.
Pour être courageux, il faut être libre. Alors que l'obstination appartient aux esclaves, et à ceux qui ne voient pas leurs propres chaînes.
Dans l'obscurité croissante, je me coulais avec cette chose volcanique qui s'était lovée dans chacune de mes fibres, qui avait grondé comme un torrent sauvage. Depuis un lieu qui paraissait très éloigné, Uldrick lança un cri dans la nuit, pour que je vienne manger. Comme si j'étais encore le même, et que rien n'avait changé. Je sentis la bête remuer en moi. Jurer férocement que le feu nous prendrait tous les deux.
Les premiers traits surgirent depuis la pluie, noirs et véloces. Des chocs mats, ensuite, tandis que les projectiles trouvaient les rondaches. A la cadence de la marche s'ajouta ce staccato dangereux, un tambour rapide qui venait mordre le bois à la recherche de la chair qui frissonnait en dessous.
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Sais-tu ce que mon père m'a dit, Sleitling? Que le jour où on lui a ramené son vieux à lui, encore crispé sur la faux, il a ri. Il venait de saisir la nuance entre le courage et l'obstination. C'est la liberté. Pour être courageux, il faut être libre. Alors que l'obstination appartient aux esclaves, et à ceux qui ne voient pas leurs propres chaînes.