Il est malheureusement un discours que je ne pourrai plus tenir : celui d'être un inconditionnel de
Pete Dexter. Bien sûr, sans l'avoir véritablement attendu, quand j'ai vu par piles entières un nouveau Dexter envahir les librairies, mon sang n'a fait qu'un tour.
Spooner fût immédiatement acquis et muni du coupe-file le plaçant d'autorité en pole position de mes prochaines lectures.
C'est un pavé de 550 pages, un volume inhabituel pour Dexter. On apprend même que le texte publié a maigri de 250 feuillets par comparaison à la version soumise aux premiers relecteurs, amis de l'auteur. Alors, avant de prendre le recul nécessaire pour qualifier pareille somme, je vais essayer de vous livrer mes premières impressions de lecteur.
Les premiers chapitres s'ouvrent naturellement sur la naissance de
Spooner. Stupéfaction : ils sont encombrés de nombreuses phrases lourdes, interminables, hachées menu à coups de virgules. Les apartés à vocations humoristiques tombent très souvent à plat, que s'en est une misère. C'est à se demander quelle mouche a piqué ce bon vieux Pete : peut-être qu'à vouloir produire son grand oeuvre (vu la taille de la bête), il a voulu s'essayer à l'emphase dans une mesure inédite – et bien maladroite. Comment cela a-t-il pu passer ? Où est le
Pete Dexter de
Train, de
Deadwood, de Coton Point ? Panique à bord.
Heureusement, dans la suite, ça s'arrange. Les phrases mortelles se raccourcissent, s'équilibrent et je suis sans déplaisir la croissance de
Spooner, faisant parfois des bons de plusieurs décennies sans que l'auteur n'adresse le moindre avertissement. Des personnages apparaissent sans véritable explication, comme par exemple Calmer, le futur beau-père de
Spooner, dont la rencontre avec sa mère est complètement passée sous silence. Tout en grignotant
Spooner, je grignote aussi ses nombreux trous. Et je me dis que tout ça ressemble fort bien à une autobiographie : les souvenirs épars, les épisodes traumatisants imprimés de façon indélébile et les informations qu'on n'aura jamais (un père pudique comme Calmer ne dévoilera jamais l'intimité de la genèse de son couple). Ouhais, le Dexter nous refilerait donc sa bio maquillée sous les noms d'emprunt de personnages de roman. Je le prends plus ou moins comme ça et j'avance, pépère, presque jusqu'au bout. Toujours pas de révélation, de choc, de lumière.
Dans les 70 dernières pages, je retrouve enfin le
Pete Dexter que j'aime. Ce long épilogue bénéficie d'un style plus concis et de phrases bien équilibrées ; les métaphores sonnent juste, aucune ne donne l'impression de vouloir forcer le rire sans y parvenir. L'humour se fait donc plus fin et la tendresse de l'auteur pour ses personnages rayonne enfin dans toute sa subtilité.
Alors que faire de cette encombrante nouveauté ? Difficile de la recommander sincèrement à ceux qui ne connaissent pas encore l'auteur. On orientera d'abord ceux-là vers ses autres romans, en en particulier vers ceux cités plus haut : le formidable
Train, l'éblouissant
Deadwood ou le choquant
Cotton Point. Mais les admirateurs de Dexter, dont je suis, trouveront toujours un bénéfice à se plonger dans
Spooner, notamment pour tous les éléments autobiographiques qu'il recèle (lire à ce propos le très intéressant papier de Bruno Corty dans
Le Figaro). On lui doit bien ça, à Dexter. En croisant les doigts pour le prochain.
Difficile de jauger la traduction sans avoir l'original en main. le travail d'
Olivier Deparis semble d'une bonne tenue dans l'ensemble même si, très ponctuellement, certains choix de vocabulaire m'ont paru bien peu judicieux.