À mains nues

J'assiste à une conférence sur le plaisir féminin. C'est officiel, le fameux point G existe bel et bien, il se trouve ici, powerpoint à l'appui, quant au clitoris, on lui rend enfin les dix centimètres qu'on lui avait confisqués. Nous, des femmes qui avons eu la chance de naître et grandir en démocratie, de poursuivre des études, de voyager à l'autre bout du monde, nous avons découvert à trente ans à quoi ressemblait réellement le continent clitoris. C'est à la fois triste et génial. Qu'à cela ne tienne, ma décision est prise, je me promets un avenir de femme fontaine.

Il y a quelque chose de subversif à désirer encore pour une femme qui vieillit.
Je veux de cette révolte-là.
Mon désir ne dépend pas de la fermeté de ma peau, mais de mon appétit de vie. Ce n'est pas seulement l'autre qui appelle mon désir, c'est moi qui m'autorise à désirer avec force, avec tout ce que je sais de la vie, avec tout ce que j'ai ri et pleuré. Je désire depuis moi.

Elle ne s'aime tellement pas qu'elle se méfie de ceux qui s'intéressent à elle, leur reprocherait presque leur faute de gout.

Elle ne s'aime tellement pas qu'elle se méfie de ceux qui s'intéressent à elle, elle leur reprocherait presque leur faute de goût.

Ces frontières lui pèsent. Les contours bien nets de l'amitié et de l'amour, qui nient les infinies nuances, plis, recoins, ressorts qui colorent une relation. Ces mots qui rétrécissent son expérience, échouent à nommer ce qui la traverse.

Pourtant, on l’a attendu, ce moment. On était impatients de se retrouver. Toute la journée, on s’est envoyé des messages en pensées. On s’était promis de raconter nos impressions, nos anecdotes, nos rencontres, et c’est peut-être ce qui nous dit le mieux l’amour pour quelqu’un, ces discussions qu’on entame avec lui sans lui.

Je me déshabille et m'allonge sur le fauteuil. L'examen commence. Détendez-vous, me dit-elle. Combien de fois aurai-je entendu ces mots, l'injonction impossible, fesses au bord du fauteuil, pieds dans l'étrier, spéculum froid, lampe braquée sur mon vagin. Une femme s'est-elle jamais détendue dans ce fauteuil ?

Ensemble, ils s'offrent un magnifique cadeau, une révélation de taille, ou plutôt la confirmation d'une intuition : pas besoin de pénétration pour jouir. Ils cherchent ensemble et elle découvre que ce qu'elle a toujours considéré comme des préliminaires peuvent ne pas en être, constituer à la fois le chemin et l'arrivée. Mon imaginaire s'étire encore, allégé d'un cliché.

Elle déteste ceux qui parlent de lui faire l'amour, comme s'ils étaient les seuls à agir et elle une étoile de mer. Elle a parfois l'impression que l'autre se mesure, teste sa capacité à faire jouir une femme, passe un examen avec lui-même. Ça sent le sacrifice, l'injonction à jouir, le sexe scolaire. Elle aimerait que leurs générosités et leurs égoïsme se rejoignent quelque part.

Nous sommes tous fabriqués. C'est seulement quand on l'a reconnu que l'on peut s'inventer un peu. Rêver aux possibles. Un immense terrain de jeu où les rôles ne sont pas distribués à l'avance, et où les règles s'inventent à chaque rencontre.