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Citations sur Le verbe libre ou le silence (73)

Les aspérités de l’âme, les méandres des sentiments, les questions
existentielles, un jockey des Lettres n’en a que faire, les chiffres de ventes
le passionnent plus que la qualité littéraire. Prêt à désépaissir votre œuvre
par tous les bouts, vos neurones l’encombrent. Si vous avez le culot
d’évoquer la moindre logique narrative, il s’offusque, s’impatiente ou vous
envoie brouter des pissenlits loin de son pré carré. Sans savoir, il sait tout !
Ignorant d’où vous vient votre sujet et les raisons pour lesquelles il vous
tient à cœur, le jockey des Lettres se targue de savoir mieux que vous
comment doit être votre livre. Ventriloque ou prestidigitateur ?
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Si la légitimité de dire ou d’écrire est à tous, le talent pour le faire ne se
répartit pas aussi équitablement. En vérité, combien de ces livres-people
devons-nous vraiment au nom inscrit sur la jaquette ? On ne trahit aucun
secret en affirmant qu’il ne s’agit bien souvent que d’anecdotes éparses, des
enregistrements ou des moutures informes que des éditeurs font réécrire par
des rédacteurs tapis dans l’anonymat. Ces livres, d’une structure toujours
élémentaire, visent à susciter chez les lecteurs des émotions également
dénuées de complexité : l’envie ou la pitié. Le rédacteur choisit la brosse à
reluire ou le paquet de mouchoirs, selon l’humeur de sa doublure, qui peut
embellir son témoignage au fur et à mesure de ses cocktails mondains ou
l’assombrir par la cuisante nostalgie d’une gloire ensevelie dans un album
photos. Moins exigeants que les couturiers avec leurs mannequins, les
plumes de l’ombre se contentent de tricoter de quoi flatter toutes les
carrures. Peu leur importe si, quelques fois, le lecteur peine à ajuster le livre
au phrasé de celle ou celui qui se l’attribue crânement sur les plateaux de
télévision. C’est devenu si fréquent de voir, dans certaines émissions, des
invités qui ne se souviennent pas de pans entiers du texte qu’ils prétendent
avoir écrit. On sait que l’exceptionnel se banalise à force de réitération.
Avoir recours à un écrivain fantôme fut longtemps un secret gênant ; leur
honneur sur le billot, ceux qui en étaient accusés se défendaient
farouchement, plutôt que d’avouer, même quand tout Paris était au courant.
Maintenant, certains en font le signe de leur accession au rang de star.
Alors, qu’adviendra-t-il de la littérature, si cette manière de fabriquer les
livres des non-écrivains devenait la norme dans l’édition ? Si, pour les
éditeurs, publier devient synonyme de réécrire et formater, que restera-t-il
de l’implication de l’auteur dans son œuvre et de l’authenticité de son
univers qu’il est supposé faire partager au public ?
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Hélas, les semaines, les mois se
succédaient, confirmant ma première impression : rien, absolument rien
dans les méthodes de travail de cette femme ne me donnait l’envie de
l’avoir comme éditrice. Aussi tenace qu’intrusive, elle s’accrochait vaille
que vaille, saisissant tous les prétextes pour expliquer, détailler l’autorité
plénipotentiaire que son titre lui conférait sur mon texte. Et, selon elle,
c’était le droit de m’imposer ses vues, pour chaque thème, chaque
paragraphe, chaque page, chaque chapitre. Nous étions supposées
collaborer, mais le tennis de Madame se jouait d’une seule raquette ! Même
mon expression linguistique devait passer au filtre de ses convenances à
elle. Ce n’était pas que ma flopée de métaphores qui lui filait de l’urticaire,
elle voulait ma pensée sur les rails de la sienne.
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« J’ai choisi de m’occuper de toi ! » avait-elle dit, comme si ma grand-
mère venait de l’engager comme nounou ! Non, merci, ça fait longtemps
que je ne suce plus mon pouce ; et je parle bikini, pas biberon ! Elle n’était
pas censée s’occuper de moi, mais de son travail d’éditrice et moi, du mien.
Il s’agit d’une collaboration, non de la formation d’une apprentie en
alternance, encore moins d’un maternage. Est cynique qui dira que je le
suis ; car, comment ne pas avoir en horreur ces abus de langage ? Cette
manière d’infantiliser les artistes, d’annihiler leurs velléités pour mieux les
manipuler. « Je veux seulement t’aider », traduit en langage honnête, cela
signifie : avale les couleuvres que je t’impose et écrase-toi sous ma semelle.
« J’ai choisi de m’occuper de toi » : d’un coup, une fée daigne se pencher
sur votre berceau ! Eh non, c’était plutôt : d’un souffle une divinité créa son
monde, me réduisant au rang de bonne poire, choisie sur l’étal des Lettres
de France. Elle avait son moule à tarte déjà prêt pour mon cerveau. Que
pensais-je de son choix ? Peu lui importait ! Les poires n’ont pas d’avis, les
agriculteurs le savent bien : au marché ce sont les acheteurs qui tâtent,
trient, choisissent. Après une longue analyse de ce coup de fil initial, je me
dis qu’il n’augurait rien de bon.
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Désorientée, je passai la soirée à mâcher, mâchouiller les grumeaux de
cet absurde dialogue : « Tous les auteurs ont besoin qu’on les pousse
jusqu’à leur dernier retranchement ! » Existe-t-il une tranchée plus reculée
que celle de l’écriture, dans laquelle les baffes dans la gueule et les coups
de pied au derrière m’ont expédiée depuis la prime adolescence ? Qu’est-ce
que ce langage de tortionnaire ? Et puis, d’où tenait-elle de telles
balivernes ? C’est comme si elle avait suivi un inconnu jusqu’à la salle de
bains et s’était mise à cogner à la porte, intimant : « Tu veux te laver,
d’accord, mais ce sera selon mes indications. À mon top, tu commences par
la joue gauche, ensuite le talon droit… »
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L’écriture, c’est un cheminement individuel par
excellence ; qui peut adapter sa démarche aux lubies d’autrui, a fortiori, à
celles circassiennes de cette cavalière ?
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J’ai râpé
tant de jeans sur les bancs de l’école, usé tant de semelles dans les couloirs
de l’université, aucun de mes professeurs n’a jamais eu le ton aussi
péremptoire que celui de cette bonne femme. Madame avait ses
préférences, certes, mais cela me regardait-il ? Je n’avais jamais pensé à
elle en écrivant une ligne. Concoctant ma marmite du pêcheur, comment
pouvais-je adapter mon assaisonnement aux exigences gustatives d’un
palais dont j’ignorais jusqu’à l’existence même ? Et puis, cette
intrusion ! Psychologiquement, elle avait tout d’un viol ; et je me sentais
comme une pucelle livrée à un priapique. Plus que gênée, j’étais outrée
d’apprendre que cette femme qui m’était totalement inconnue avait fureté
dans mon manuscrit, alors que personne ne m’avait prévenue. Une telle
exhibition de mon intimité ! Je me sentais trahie. Pour moi, un texte en
cours relève de la plus secrète privauté ; je ne le dévoile qu’à quelques
proches. Et encore ! Très rarement. Un éditeur qui fait lire votre manuscrit à
quelqu’un d’autre sans vous en avertir, c’est comme un conjoint qui vous
prête à l’un de ses potes, pendant votre sommeil. Non, je ne suis pas
excessive ! C’est exactement comme cela que je l’ai vécu.
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Non, je n’hallucinais pas ! Cette voix inconnue qui remplissait mon salon
de ses volontés s’adressait bien à moi. Des années que je publiais ; jamais
personne ne s’était présenté à moi comme étant « ma directrice » de ceci ou
« mon directeur » de cela. La rectitude du mot « directrice/directeur » me
semblait incongrue dans les ondulations de la création artistique. Madame
était donc « directrice » ! En un seul coup de fil, de surcroît le tout premier
contact entre nous, cette cavalière m’avait répété quinze fois « tu dois » et
dix-huit fois « il faut ». Il fallait ceci, il fallait cela ! Mais que devais-je
donc à cette femme ? Totalement étrangère à ma vie, elle me réclamait
soudain tant de choses ! Un coup de marteau sur le crâne ne m’aurait pas
davantage étourdie. Les yeux ronds devant le maudit téléphone, je faisais la
carpe à marée basse. Perturbée, j’essayai malgré tout de placer quelques
mots, une timide tentative d’explication après chaque impératif. Peine
perdue ! Madame la directrice gnagnagna déclarait, s’auto-validait,
persistait, m’assénait, en sus, d’autres de ses diktats. Et, toujours, cette
frustrante ritournelle à l’entame de ses réponses.
– Oui, mais non ! Je vois ce que tu veux dire, mais non, j’ai vraiment
bien lu et j’ai d’autres attentes, je préfère que le livre soit comme ci… et
comme cela… Il faut que tu…
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En
quittant ces écrivains malheureux, je me demandais toujours ce que leur
mésaventure éditoriale avait modifié dans leur rapport à l’écriture. Certes, il
n’y a pas que des tyrans dans l’édition, heureusement, mais il n’y a pas que
des anges non plus. Des éditeurs qui brisent les ailes aux auteurs dans le
tunnel de leur propre vision, à force d’en entendre parler, je redoutais
secrètement d’en croiser un. Seigneur, épargne-nous du fouet du cocher
comme du choléra ! c’était la laïque prière de ma plume, face à toute lune.
Hélas, même les gnous savent que la crainte ne protège pas du loup, tant
que l’on sillonne la savane.
Et, soudain, un maudit loup ! Il avait surgi en traître. Le temps de prendre
mes jambes à mon cou, il avait déjà arraché ma joie de vivre ; à moins que
ce ne fût un lobe de mon cerveau ? La catalepsie passée, j’essayais de
poursuivre ma route, d’écrire coûte que coûte, comme la gazelle se débat
pour se dégager des griffes d’un fauve. Mais chaque ligne ouvrait une piste
par laquelle le loup revenait à l’attaque. Petit à petit, la plume, ce balai de
sorcière qui me portait et faisait voler des rubans mauves dans mes nuits
blanches, cessa de danser pour se muer en piquet. Insupportable
immobilité ! Tout arrêt est mortel. Même fanées, les fleurs refusent l’inertie,
elles se désagrègent et servent d’humus. Halte inopinée, des nuits à faire la
statue de sel au bord du Rhin, à me dire que l’impuissance est la pire des
tortures infligées à l’humain. Chaque soir, je criais en silence, donnant des
ordres aux ombres. Qu’on me ranime ! Que ma plume virevolte à nouveau !
Que le père de Pinocchio me souffle dans les narines et me rende la vie !
Sinon, qu’on me réduise en poussière ! Qu’un débordement du Rhin vienne
me dissoudre ! Mais le silence de la nuit, parfois, c’est une cruelle vague
qui vous rapporte votre bouteille jetée à la mer. Aucun déluge ne s’abattait
et le père de Pinocchio ne pouvait voir une statue de sel dans la neige.
Immobile, forcément, je me faisais de la bile. À quoi sert une plume qui ne
danse plus ? demandais-je à la mienne, interdite, devant la haie de points
d’interrogation qui me bouchait l’horizon. Écrire, c’est ramer. Personne ne
rame pour rester dans la même crique. Mais, quel plaisir y a-t-il à naviguer,
si l’on n’est pas libre de choisir son cap ?
Quand un lecteur embarque dans un livre, qui suit-il ? Veut-il découvrir
l’univers d’un écrivain ou les segments arbitraires qu’un géomètre de
l’esprit y découpe ? Celui qui raconte le mieux un rêve, n’est-ce pas celui
qui l’a fait ? Bref, les exigences des éditeurs sont-elles légitimes,
lorsqu’elles vont jusqu’à changer le fond et la forme d’une œuvre ? Cuisine
industrielle ou faite maison ? À l’heure où le législateur entend distinguer
les restaurants qui préparent eux-mêmes leurs plats de ceux qui réchauffent
des mixtures calibrées à l’usine et bourrées de conservateurs, interroger le
contenu de son assiette est devenu un réflexe pour beaucoup d’entre nous.
Cette vigilance, quant à la qualité de nos aliments, ne devrait-elle pas aussi
s’exercer au moment de choisir les nourritures de l’esprit ? Une épidémie
de gastro-entérite fait moins de mal à la société qu’une intoxication des
esprits. Or, avant toute considération idéologique, n’est-on pas déjà dans
l’intoxication de la pensée, lorsque le livre mis à la disposition des lecteurs
ne ressemble plus à celui que l’auteur a remis à son éditeur ? Un auteur,
c’est un regard, une langue, un souffle, une musique, une sensibilité
identifiable à ses particularités. Le livre, c’est donc une âme qui signe son
passage au monde. Alors, que vend-on au public lorsqu’un auteur ne se
reconnaît plus dans un livre, pourtant supposé être le sien ? Qui falsifie une
signature sur un simple chèque de banque ou tout autre document
administratif est réprimé par la loi pour escroquerie. Celui qui s’accorde
l’immense licence de dénaturer le texte d’autrui pour l’adapter à son propre
goût n’est-il pas, moralement et juridiquement, au moins aussi coupable ?
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Votre désespoir, c’est votre plume au
garrot qui vous l’apprendra : certains maîtres aiment la bride courte. Ceux-
là, vous travaillez avec eux pour exprimer ce que vous pensez être, eux
viennent avec une idée précise de ce qu’ils veulent faire de vous. Sans
caractère, dans un tel contexte, un écrivain se retrouve vite avec un
organisme génétiquement modifié à la place du cerveau. Ce n’est pas écrire
qui est difficile, mais la bataille pour écrire librement, poursuivre une
sincère quête personnelle et la faire respecter comme telle. Certains éditeurs
préféreront toujours la maîtrise d’un canal de dérivation au tumulte d’un
bras de mer. Pour ceux-là, éditer revient à contenir, dévier, réorienter. Qui
canalise emmure forcément. Pourvoyeurs de rêves, censés garder l’altitude
de l’imagination, les auteurs brisés par une mésaventure éditoriale portent
leur mal-être comme une maladie honteuse. Se plaindre de son éditeur, c’est
courir le risque de ne plus se faire éditer ou, alors, très difficilement. Et
combien de malheureux auteurs continuent de souffrir en silence ? S’ils se
mettaient tous à parler, la si lettrée République française leur dédierait une
cellule psychologique.
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