Phobos, tome 4 : Il est trop tôt pour respirer

Mais maintenant, il n'y a plus nulle part où aller. Il n'y a plus d'avenir lointain où fuir. Il ne reste que le présent et le passé à affronter.

Regarde-les, livrés à leurs passions mortifères, détruisant leur planète, s'entre déchirant pour les bouts de terre émergés, se reproduisant frénétiquement sans songer à la surpopulation ni à la mutation D66, utilisant enfin l'énergie qu'il leur reste à cracher leur venin sur les réseaux sociaux.

Mais ils choisissent plutôt de croire aux faits alternatifs, aux fake news et aux conspirations. Parce que ces dernières leur permettent d'exprimer leurs passions les plus inavouables : la jubilation narcissique de la mauvaise foi, la peur panique du changement, l'instinct de revanche contre son prochain.

Tout le reste, les tombereaux d'insultes puant la méchanceté, ta chère humanité ne les doit qu'à elle-même. Internet devrait être un tempe de l'intelligence, mais regarde ce que les gens en font trop souvent un dépotoir de la bêtise. Le monde d'écrans qu'ils se sont bâti devrait refléter les merveilles éclatantes de la nature et de la pensée : il reflète surtout la noirceur des turpitudes humaines.

...Aucun ne lèvera le petit doigt pour la Terre ou pour les générations futures, car le seul horizon de l'existence individuelle, c'est le bref temps d'une vie, et rien de plus.

« On est les estropiées de l'espace, murmure la Canadienne d'une voix soudain plus claire, plus lucide, où perce une affection sincère. Kris, Eden, moi... et toi, Léo. Mars nous a pris des choses que la Terre ne pourra pas nous rendre, malgré toutes les promesses des médecins, malgré toutes les paillettes des chaînes personnelles. Elle a pris les yeux d'Eden. Elle a pris mes forces. Et surtout, elle a pris nos hommes. Aucun chirurgien ne pourra réparer nos cœurs brisés. Aucun médecin ne pourra ressusciter Kenji, Alexeï et Marcus. Mais tu veux que je te dise ? on survivra. Parce qu'il y a une chose que cette foutue planète n'a pas pu nous prendre : ce qu'on a vécu là-bas, qui nous lie à jamais et qui est plus fort que tout ! »

« Je comprends qu'on doit tous mourir un jour. Je comprends que notre plus grande liberté, c'est décrire nous-mêmes les dernières phrases. C'est l'une des plus belles leçons que Marcus m'a apprises. »
« Tu veux que je te dise ? Je m'en fous que le monde m'oublie.
Du moment que toi, Léo, tu ne m'oublies pas. »

"Elle a tenu sa promesse. Elle a tout restitué. Elle a tout traduit dans son art. La haine et l'amour. L'angoisse et l'espoir. Oui, la vérité. Mais le monde est-il prêt à l'admettre ?"

-Non, pas la planète, dit doucement Safia.
"L'étoile, Léonor.
"La géante rouge.
"Toi !"

Je comprends qu'on doit
tous mourir un jour. Je
comprends que notre plus
grande liberté, c'est d'écrire
nous-mêmes les dernières
phrases.