Faites vos jeux

Plus loin, je me suis assis sur un banc pendant que le soleil se levait et étendait l'ombre des immeubles avant de se voiler. J'ai pensé, mon Dieu, changez-moi en statue.

Tout me démotivait rapidement .les gens, le décor, le misérable écoulement des nuits et des jours. Ça recommençait. Je fonctionnais par cycles. Je me sentais perdre pied, je regardais enfler la vague irrésistible qui bientôt m'emporterait et me projetterait la tête la première vers un troisième mariage qui n'aurait rien à m'offrir d'extraordinaire mais auquel je me préparais sans réagir. J'avais toujours connu, me semble-t-il, ces états d'abandon,
d'atterrissage forcé en vol plané, sans rime ni raison, et les années passées ne m'avaient pas arrangé, au contraire. Accès de langueur, désintérêt général, démobilisation complète. Je finissais par être habitué. Je n'étais pas surpris que tout part e en sucette, encore et encore.

Victor savait ce qu’il voulait. Ce qu’il éprouvait pour Magalie était un sentiment intense et profond, mystérieux, qui n’avait plus qu’un rapport très lointain avec le sexe. Il ne voulait rien d’autre. Que vivre avec cette femme aussi longtemps qu’il en aurait la force, et rien ne pourrait l’en empêcher. Sûrement pas ses enfants. Qu’auraient-ils pu comprendre. Comment lui-même aurait-il trouvé les mots pour exprimer ce qu’il avait dans le ventre.

Même en nous y mettant à deux, nous avions du mal à entrouvrir la porte quand nous n'en pouvions plus de rester enfermés et alors, quel monstrueux boucan, quelle vision d'apocalypse, des arbres arrachés tournoyaient au-
dessus de nos têtes, du mobilier ou je ne sais quoi, des panneaux indicateurs, des animaux en laisse, des oiseaux, des barques de pêche qui se disloquaient en un éclair et partaient dans tous les sens.