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Critique de Tempsdelecture


La vie intellectuelle française du XXe siècle a pu s'épanouir notamment à travers les nombreuses revues qui ont vu le jour, l'une des plus connues reste peut-être celle des Temps Modernes, fondée par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, éditée par Gallimard. Certaines n'ont pas réussies à passer l'épreuve du temps, d'autres ont perduré et l‘Esprit est l'une d'entre elle. Deux des petits-enfants de Jean-Marie Domenach, écrivain, intellectuel, qui fut le secrétaire puis le directeur de la revue pendant des années, ont effectué à l'aide de leur cousine, Elise Domenach, un véritable travail de reconstruction et de reconstitution de l'histoire de cette demeure qui a abrité pendant longtemps les familles de certaines têtes pensantes et fondatrices de l‘Esprit, nommée Les Murs Blancs, sise au 19, rue Henri-Irénée-Marrou à Châtenay-Malabry : les Mounier, Fraisse, Domenach, Baboulène, Marrou et Ricoeur. L'Esprit, fondé en 1932, parait encore mensuellement, et d'ailleurs son comité de rédaction inclut quelques-uns des héritiers tels qu'Elise Domenach, peut-être d'autres encore.

Dès lors que je me suis plongée tête la première dans le récit, qui tient à la fois d'un hommage et d'un devoir de mémoire, empreint de composantes historique, philosophique, littéraire, qu'ont reconstitué avec succès Léa et Hugo Domenach, je suis restée totalement absorbée par l'histoire de cette revue, et de cette propriété, composée d'individualités aussi exceptionnelles que disparues. En cela, les journalistes ont fait un travail de reconstruction assez extraordinaire, et surtout de mis en forme minutieuse les esprits des différentes personnalités, du Père Fondateur qui a donné l'impulsion du départ le philosophe ‘Emmanuel Mounier, l'élément fédérateur de cette communauté de familles. Ils ont montré à quel point l'existence de la revue a toujours été étroitement mêlé à celle de ces hommes sous l'égide d'une pensée, celle d'Emmanuelle Mounier au départ, dite personnaliste, puis celle de Jean-Marie Domenach, qui a su évoluer en fonctions des débats, des discussions, des dissensions de chacun. le site internet de l'Esprit est doté d'un document pdf relativement clair, qui reprend l'histoire de la revue.

On réalise bien vite que depuis 2009, l'année ou ils ont entrepris leurs recherches, Hugo et Léa Domenach ont effectué une tâche d'une ampleur colossale, interrogeant enfants, petits-enfants, habitants actuels de la demeure, voisins, amis, connaissances, jusqu'à l'entretien inespéré avec Emmanuel Macron, qui a fréquenté pendant deux ans Paul Ricoeur aux Murs Blancs, et qui s'est réparti d'un splendide « C'est chouette » à la lecture de leur récit. Redonner vie à l'esprit qui a vu éclore cette nouvelle revue, qui matérialise l'envie et les tentatives d'une génération d'avoir prises sur le monde, qui va fêter son siècle d'existence dans une dizaine d'années, n'a sans doute pas été une mince affaire. Ils s'y sont attachés consciencieusement et religieusement, revenant même sur certaines attaques peu reluisantes envers les résistants qu'ont été leurs aïeux de la part de certaines personnalités médiatiques, tout comme ils expliquent avec clarté la pensée fondatrice de cet Esprit. Ils dressent d'ailleurs un parallèle assez pertinent, que je nuancerais cependant dans la mesure ou YouTube monétise ses vidéos, entre certains You Tubeurs actuels et ces hommes d'esprit, qui ont en commun de vouloir marquer le monde de leur empreinte. Je suis un peu vieux-jeu, j'aime l'idée de ces revues, que le frère et la soeur font revivre le temps de leur retour dans le passé, je suis très attachée à l'idée de l'écrit, de la presse, de la lecture, de l'objet magazine par lui-même. C'est aussi pour cela que j'ai aimé ce récit, cela m'a ramené dans cette époque ou la revue était le media essentiel pour faire connaître et transmettre ses idées.

Plutôt que d'être une école de pensée, qui n'a jamais été identifiée comme telle, dans un courant unique, les Domenach retracent une page de l'histoire, faisant le portrait de ces hommes et femmes qui ont tous fait partie activement de la résistance. Des individus engagés, qui ont fait de leur militantisme une philosophie de vie, ou est-ce plutôt le contraire, et qui ont porté le poids de cet engagement antimilitariste, décolonialiste, tout au long de leur vie publique. Les deux journalistes dressent des portraits des uns et des autres passionnants, les défauts de chacun sont passés au vitriol, et ceux de leur grand-père, Jean-Marie Domenach, n'est pas le dernier sur la liste. Ils prennent soin de dessiner l'admiration presque amoureuse de Paul Fraisse pour son mentor, le caractère autoritaire, presque tyrannique, de ce premier, la sympathie innée de ce dernier, l'évitement de toute forme de conflit de Paul Ricoeur. Ils recréent avec nuances les tensions, dissensions ou amitiés qui ont émaillé cette vie communautaire aussi bien que les confrontations, prises de becs, les oppositions de sensibilités qui ont contribué à faire de l'Esprit ce qu'elle était.

Je suis admirative de ce lien que ces pères fondateurs ont réussi à créer, à travers échanges spirituels ou d'ordre pratique, à travers cette vie en commune qui ont fait de leurs enfants des cousins, sinon de sang, du moins de vie. Qui font que malgré toutes les dissensions, les désaccords, les distances prises, il leur reste des souvenirs précieux en commun, ceux de leur fameux aïeux, ceux de leur enfance en commun, un lien unique indéfectible et invisible, matérialisé par le souvenir de ces murs blanc à l'origine, devenus jaunes ensuite. le travail de recherche effectué s'appuie sur un recueil du maximum de témoignages des enfants et petits-enfants, les héritiers de cet Esprit révolu. On ne peut pas leur reprocher un manque d'objectivité, même si forcément la tendresse, le respect, l'admiration ressortent quelquefois. le chapitre sur la place laissée aux épouses complètement occultées par la place géante de leurs hommes est assez parlant. Je suis assez admirative, également, de l'idéalisme dont ils font tous preuves, à commencer par Emmanuel Mounier, alors même que la première guerre n'était pas si loin. Idéalisme qui frôle l'utopie qui est à l'origine de cette communauté des Murs Blancs, dont le vivre ensemble va bientôt démontrer les limites de la mise en pratique de ses idées.

Les murs blancs n'existent plus en tant que tels aujourd'hui. Les enfants et petits-enfants ont implanté leurs racines autre part, chacun a tracé sa route. La revue a elle aussi bien évolué mais aujourd'hui ils revendiquent un retour aux sources. Voici ce que la rédaction version 2021 en dit « Elle s'efforce d'illustrer une approche généraliste de notre présent, entre la culture médiatique et les études savantes. Généraliste et soucieuse de l'intérêt général, elle se consacre à décrypter les évolutions de la politique, de la société et de culture, en France et dans le monde. »
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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