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La mémoire, l'histoire, l'oubli…. »
Un immense coup de Coeur que cet ouvrage épatant, vivant, bienveillant, intelligent, et riche de moult informations, nous offrant le récit mouvementé de l'intérieur d'une singulière aventure intellectuelle et communautaire…des Murs Blancs !
Je reprends, en guise d'introduction, mot pour mot le texte très explicite du contenu de ce travail de mémoire, de la bande-annonce « Dans ce parc méconnu s'est joué une partie de l'histoire du XXe siècle. Six familles d'intellectuels y ont vécu, dans un idéal d'engagement et de vie commune, autour d'une revue légendaire : ESPRIT. Aujourd'hui, de la Résistance à la guerre d'Algérie, d'
Emmanuel Mounier à
Paul Ricoeur, les enfants des Murs Blancs racontent »….
Travail de longue haleine », selon leurs deux auteurs (petits-enfants, de
Jean-Marie Domenach), débuté à l'été 2009, ayant demandé 10 années de travail, de recherches,et fruit de 100 rencontres …et pas des moindres, puisqu'en plus de toutes les sommités ; historiens, philosophes, scientifiques, chercheurs pluridisciplinaires ayant vécu ou croisé les « habitants historiques » des Murs Blancs, ce récit s'achève sur l'entrevue avec
Emmanuel Macron, ce dernier ayant été l'assistant du philosophe,
Paul Ricoeur, pendant deux années dans ce même lieu…Le président actuel explique l'impact et l'importance de cette rencontre !
Une lecture incroyable…qui curieusement, réveille par des chemins détournés, de nombreux souvenirs lointains, très chers à mon coeur, tous ,évidemment reliés au Livre, au métier de Libraire…à l'écriture… Furetant comme à mon habitude chez mes bons camarades-libraires de ma ville… je tombe sur cet ouvrage ; intriguée par son titre, je lis le 4e de couverture.. . et découvrant les noms d'
Emmanuel Mounier, et de la Revue Esprit… je me revois, toute jeune libraire dans les années 80, recevant en « office » (« nouveauté ») Cette revue prestigieuse, que je rangeais, fort « intimidée », dans le secteur Sciences Humaines, et plus spécifiquement au rayon « Philosophie », qui faisait figure dans cette librairie généraliste même conséquente [Librairie de Paris, Place de Clichy, aujourd'hui propriété des éditions Gallimard ] de « parent pauvre » !...
Parallèlement, je poursuivais des cours de librairie à l'ASFODELP [rue
Saint-Dominique], où entre autres nous, nous plongions dans l'histoire des maisons d'édition, je me souviens précisément de celle du seuil , creuset dynamique de « ces « Chrétiens de gauche, très actifs dans la vie politique et culturelle ; ainsi de nombreux noms de cette Histoire de la revue Esprit me sont restés familiers…
Autres images et pas des moindres : Châtenay-Malabry où se trouve cette légendaire maison des « Murs Blancs »… ville où je me suis rendue pendant un certain temps, à mes heures de liberté, pour travailler, en vue de travaux de recherche, à la Vallée aux loups, le domaine
De Chateaubriand, au sein de la très belle bibliothèque du lieu…jusqu'à l'espace où étaient logés les « chercheurs étrangers »… Ces parcours à pied pour rejoindre ce magnifique endroit reste parmi de très intenses souvenirs, tant par le plaisir de l'étude [que je faisais sur la duchesse
Claire de Duras, « soeur de coeur «
De Chateaubriand ] que par la beauté du parc… de cet autre parc…
Car dans ces « Murs blancs » lieu communautaire, habité par le philosophe,
Emmanuel Mounier et ses familles d'amis-collaborateurs, il y a aussi la magie du lieu… de cet autre parc, enchantant tous ses habitants, enflammant les énergies, les imaginations des petits et des grands….Creuset intellectuel à nul autre pareil…
Voilà, la longue parenthèse introductive est passée…Je reste toujours « captivée » par les raisons, les élans spontanés qui se font, plus ou moins consciemment, pour parvenir parfois au choix de tel livre…et pas un autre.
Cet ouvrage est écrit par les petits-enfants Domenach… dont le grand-père a été un proche ,ami et collaborateur d'
Emmanuel Mounier, fondateur , initiateur de cette « idéal » communautaire et intellectuel des Murs Blancs…Ce grand-père mal connu, qu'ils ont découvert véritablement à travers leurs recherches pour l'écriture de ce récit…. à qui ils rendent un hommage vibrant et lucide. Car cette communauté intellectuelle et amicale des Murs blancs ne fut pas un long fleuve tranquille… loin de là ! Une histoire tout en contrastes, drames et joies mêlés…
« Dans le bureau de notre grand-père nous avons aussi retrouvé, entre autres trésors, son exemplaire original de la "Constitution murblanquiste", conservé avec soin. Ce document témoigne de l'état d'esprit de ses habitants qui se prenaient certes très au sérieux, mais formaient aussi une bande de copains complices, avec leurs blagues, leurs moqueries et leur autodérision.
Ces quatre pages comportent sept articles qui imitent la forme juridique des textes de loi mais que
Mounier a teintés d'humour absurde, de calembours et de clins d'oeil. (...)
L'article I (...)
"il n'y a aux murs blancs, ni propriétaires, ni locataires, ni oppresseurs, ni opprimés.
Les Murs Blancs ne sont pas une propriété. Cette impropriété est collective." s'il y a une chose que la guerre n'a pas ébranlée, c'est le fait que leur ennemi commun reste le capitalisme. Pas question de se considérer comme des propriétaires. (...)
"Chaque année, sera fixé le montant par ménage des attributions d'anarchie, de fantaisie ou d'humour noir. Les chaires en Sorbonne ne donnent pas droit à un supplément d'attribution, non plus que les distractions philosophiques ou le goût lyonnais bien connu pour la folichonnerie". Puis, dans une formule empruntée au -Contrat social- de Rousseau, qui mêle force et douceur,
Mounier conclut par : " si l'harmonie générale est libre", elle est "obligatoire". (p. 85)
En plus du récit de la vie communautaire de ces intellectuels brillantissimes, leurs recherches, leurs travaux éditoriaux, la réalisation exigeante de leur revue , Esprit, il y a aussi les aléas du quotidien, les rivalités, les frictions entre fortes personnalités aux égos surdimensionnés… nous avons ainsi le plaisir très vif de revisiter « autrement » la vie politique, intellectuelle du XXe siècle…en passant, en quelque sorte, dans les coulisses du « monde des idées »…
Je ne détaillerai pas toutes les personnalités, « têtes pensantes » ayant vécu, travaillé, comme celles qui n'ont fait que passer, car cette chronique en deviendrait des plus fastidieuses, par sa longueur.
Léa et
Hugo Domenach nous emporte dans un récit dynamique, aussi objectif qu'il peut l'être, tentant de rendre justice à chacun, au vu des incontournables dysfonctionnements humains entre des personnalités aussi brillantissimes qu' écrasantes… Les petits-enfants, Hugo et Léa expriment sans réserve leur affection et admiration pour ce grand-père , tout en pointant également les points discutables du comportement au quotidien de ces « cerveaux » comme un machisme plus que confirmé de la part de la gent masculine, alors que les uns et les autres avaient des épouses , brillantes , intellectuelles, et autonomes [ d'où l'ironie lorsqu'on lit l'une des thématiques de la Revue Esprit de juin 1936, intitulée « La Femme est aussi une personne » ]…de même, leurs difficultés à parler de « sexualité », sujet tabou, par excellence, comme beaucoup de mal pour ces professeurs d'université, penseurs, philosophes, chercheurs, écrivains avec l'affectif envers les enfants… plutôt livrés à eux-mêmes… Pas toujours aisé d'accorder l'intellect et la mise en pratique, en action !!
Merci aux auteurs de cet excellent récit, à l'impressionnante documentation, tout en nous offrant un récit vivant , très instructif , empreint d'une lucidité, dénué de jugements tranchés ! Même dans leur rencontre avec BHL [
Bernard-Henri Lévy ] qui avait été véhément envers ce groupe d'intellectuels dans l'un de ses premiers textes, «
L'Idéologie française » (ayant d'ailleurs provoqué scandale et polémiques surabondantes, à sa sortie),…
Cette démarche de présentation des faits et de l'histoire complexe d'un groupe d'hommes voulue aussi objective, équitable que possible nous rend l'ensemble de ce récit aussi crédible, fiable qu'attachant !
Un grand plaisir de lecture m'ayant appris de multiples choses dont la naissance et le contenu de ce mouvement « philosophique » créé par
Emmanuel Mounier : «
le personnalisme »…Une publication vraiment enrichissante et très éclairante sur l'évolution des mentalités et du rôle des « intellectuels » au sein de la « Cité »…et de la sphère politique
***Titre d'un ouvrage de
Paul Ricoeur [qui peut être aussi repris pour l'ensemble de ce récit]
[**Ouvrage clos par une bibliographie précieuse…]
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Liens :
https://www.franceinter.fr/emissions/le-vif-de-l-histoire/le-vif-de-l-histoire-12-fevrier-2021
https://respublicalitteraria.wordpress.com/2013/09/03/
les-murs-blancs-un-phalanstere-dintellectuels/