Ce soir, la lune
tranche le lac, creuse
un puits de silence
abrupt à l'horizon.
Le monde tressaille
- les yeux clos
tu le traverses.
Tu traverses l'ombre de la ville
le paysage défait des heures
et c'est l'ombre de tes pas, l'histoire
en toi qu'elle révèle, - mondes flous
troués de matière et vertige
quand tu lèves les bras, l'insecte
plane au-dessus du puits.
A l'entrée, on mendie quelques miettes.
Le visible cède sous son poids.
Il n'est de voyage
qu'en cette forme heurtée
du regard, cette boussole qui te déplace.
Et la route se dérobe, révèle
d'autres mondes, d'autres voyages.
Tu deviens pour toi-même
désert et limite, la frontière éclatée.
Il reste des taches de vies
au bord des jours, ces visages
que l'ombre a cessé d'enfouir.
De l'ombre dans la voix
tel un peu de sable
s'écoule : Tu renverse
la tête : vois tu
le temps qui s'engouffre
derrière tes mots, vois-tu
l'averse patiente?
Au bout des chemins, la maison. Des arbres
l'enserrent, - l'onde fragile du temps.
Le remous, plein la fenêtre.
Tout ce qui est advenu brûle encore
livré aux nuages qui sillonnent l'horizon
et s'amoncellent comme des semences.
Lampe, table, chaise. Une vie
où chaque ici repose
sur la branche du souvenir
qui ne se rompt.
Ecoute, comme une ombre
s'avancerait, la mer, l'inlassable
vol des vagues qui claquent
contre la terre, écoute
ce monde devenu monde, à force
de résonner parmi les ans. Ton enfance
est cette matière fossile, un vœu
du temps qui brûle à mesure.
Ecoute, et l'oiseau fuira encore
brisant tes châteaux sur le sable
de cette côte de l'Atlantique
où tu vis s'en aller l'aube
et revenir par tant de marées.
Le vent. - Et tu chutes
dans le paysage :
l'onde silencieuse
enserre tes pas, tes mains.
Au loin le jour brûlé
bascule. Le ciel se rompt
avec les oiseaux
venus à ta rencontre.
Passé les dunes …
Passé les dunes, la pente abrupte
mène vers la mer. La perspective se modifie
légèrement, les nuages et les galets
se fondent, le vent s’éparpille sur la peau
et si l’on porte à l’oreille un coquillage
on entend murmurer chaque souvenir
laissé là, enfoui sous les marées.
Alors le Derviche, avec l’écume, avec le sable
pénètre la mesure
— l’univers, le rien —
souffle comme il danse :
secoue les draps de l’âme.
PAR TANT DE VISAGES, J’ENTRE...
Par tant de visages, j’entre
en mon visage.
Lente figure des ans
que nous révèlent les lunes
- lentes cavités des heures.
L’argile entre mes mains
peu à peu se liquéfiait, mon visage
se mettait à naître.
La rive déjà disparaissait
loin derrière, et loin, l’espace
bref où le rêve surgit.
J’assistais au paysage,
je commençais à voir.