Alors je fais comme souvent : je me dédouble. Le bon serviteur, sourd comme un pot, obéit et déploie sa palette de pastels pour célébrer l’allégorie de la ville, tandis que le vieil homme hanté et solitaire se fabrique des exorcismes la nuit tombée. J’ai bien réfléchi : il n’y a pas de couleurs dans la nature mais seulement de la lumière qui se pose différemment sur le monde, le caresse ou le gifle.
Alors je les peins tous dans leur comédie de la puissance, de la famille et de la richesse. Ils parlent devant moi comme si j’étais transparent. Et c’est en quelque sorte ce que je suis puisque je suis leur serviteur. Un domestique plus talentueux que les autres : une sorte de magicien qui adoucit les visages jusqu’à les rendre non seulement supportables mais beaux, dignes et parfois émouvants. Un magicien qui arrondit les bras des vieilles et rosit leur chair grise pour la rendre désirable. Un magicien qui fait de la misère humaine un rêve de grandeur et d’éternité.