L'art trahit. Il est toujours en deça de l'horreur. Il l'apprivoise, l'atténue, la rend sopportable.
A la place de la maison, il y a un trou.
Un trou énorme. Le toit s'est effondré, les murs sont pulvérisés. Tout est noir, couleur cendre, couleur de mort. L'incendie a tout ravagé. Tonio tombe à genoux dans les gravats et pousse un hurlement de bête blessée. Ses parents sont là. Là-dessous, Josepha et ses tendres baisers, Domenico et son regard plein de bonté. Là et nulle part. Il ne reste plus rien.
La pluie pleure sur l'enfance morte de Tonio. Elle coule sur son visage d'orphelin. Maria entoure doucement de ses bras le corps qui se raidit. Elle lui murmure des choses douces et impuissantes, la voix brisée. Mais il est loin, trop loin. Puis le corps s'abandonne, crucifié par la douleur, agité de sanglots. Elle le berce et mêle ses larmes aux siennes.
Franco a pactisé avec le Diable et ici à Guernica, ses hommes donnent des leçons à l'Enfer !
Comment ses parents ont-ils pu l'envoyer ici ? Chez ces petits bourgeois catholiques et peut-être franquistes ? Comment ont-ils pu penser qu'elle serait à l'abri dans une famille qui pense sans doute que la République n'est bonne qu'à déranger leur petite vie de privilégiés ? Jamais elle ne pourra supporter ce monde qui ignore la guerre et continue de prospérer alors que partout autour des hommes et des femmes meurent pour la justice et pour l'égalité.
- Je viens de l'ouest et je cherche à rejoindre la famille de l'autre côté de là...
D'un geste, le berger l'interrompt.
- Pas la peine de me raconter des fredaines, mon garçon. Tu n'es pas le premier que je croise dans la montagne et, hélas, tu ne seras pas le dernier... Je ne veux rien savoir. Ainsi je n'aurai rien à dire si la garde civile poussait ses rondes par ici pour discuter politique avec moi. Moi, je m'appelle Pablo et je suis berger dans cette montagne depuis mes quinze ans. C'est à peu près ton âge, non ? Depuis cette période, il en est passé des saisons, avec des troupeaux, des chiens et des loups, si tu vois ce que je veux dire. En ce moment, c'est plutôt le temps des loups. Viens avec moi, il faut te réchauffer.
Vous êtes manifestement encore très marqués par ce que vous avez vu au point, peut-être... je dirais... d'en fausser quelque peu la réalité ?
Nul ne te volera tes souvenirs et tes mots