Quand on sait où on est et qui on est, on peut, comme le chat, fondre sur la bille roulant sur le plancher et imaginer que c'est un dragon. Quand on s'est compris, on peut courir dans l'immense sphère armillaire et s'imaginer que, comme l'écureuil en cage, on joue, on se joue. Le seul moyen de s'appartenir est de comprendre. Les seules mains capables de saisir la vie sont à l'intérieur de la tête, dans le cerveau.
Je prends goût à lire. Je me mets dans tous les livres qui me tombent sous la main et ne m'en retire que lorsque le rideau tombe. Un livre est un monde, un monde fait, un monde avec un commencement et une fin. Chaque page d'un livre est une ville. Chaque ligne est une rue. Chaque mot est une demeure. Mes yeux parcourent la rue, ouvrant chaque porte, pénétrant dans chaque demeure. (107)
Je trouve mes seules vraies joies dans la solitude. Ma solitude est mon palais. C'est là que j'ai ma chaise, ma table, mon lit, mon vent et mon soleil. Quand je suis en exil, je suis assise en pays trompeur.
Mais on regrette toujours pour rien,étant donné qu'on ne peut regretter qu'après.
Je regarde comme il faut le saule pleureur pleurer, laisser traîner ses rameaux mous comme des cheveux dans le courant. Je regarde le saule: je me jette dans le saule. Quand un nombril du monde se jette dans un saule, le saule devient nombril du monde. Le saule me regarde: il se jette sur moi, m'avale, et le nombril du monde devient saule. Une mer est un verre d'eau. Une tempête de mer n'est qu'une tempête dans un verre d'eau.
On ne naît pas en naissant. On naît quelques années plus tard, quand on prend conscience d'être.
« Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S’il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit. »
«Ma solitude est mon palais. C’est là que j’ai ma chaise, ma table, mon lit, mon vent, mon soleil. Quand je suis assise ailleurs que dans ma solitude, je suis assise en pays trompeur».
La vie ne se passe pas sur la terre, mais dans ma tête.