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EAN : 9782070373932
384 pages
Gallimard (02/07/1982)
3.88/5   251 notes
Résumé :
" Tout m'avale... Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère... ".

Les enfants en mènent large. Ils peuvent dire pis qu'aimer, pis que pendre. Ils ont tous les droits. Entre vingt et vingt-trois ans (l'âge de ce roman), on a toutes les lois, toutes en même temps. Si on est doué, on les apprend. Si on n'est pas content, on se déprend... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
3,88

sur 251 notes
L'avalée des avalés est un roman dont la sombre histoire nous parvient par le biais d'une écriture très originale, à la fois joueuse et mystérieuse.
D'abord le temps n'y est jamais donné tel quel. On devine les passages que fait Bérénice de l'enfance vers l'adolescence et la vie adulte sans repères temporels précis, uniquement en lisant ce qui se produit devant nous.
Ensuite, bien que les évènements rapportés par Bérénice montrent bien qu'elle grandit, son écriture n'évolue pas vraiment. Au départ elle est bien trop brillante et cultivée pour la Bérénice enfant, mais elle finit par mieux coller à sa réalité à partir de l'adolescence. J'ai donc trouvé en commençant ma lecture que l'écart de maturité entre l'âge du personnage et celui de l'écriture étaient plutôt déroutants. Si on tient, comme moi, à ce qu'il s'agisse bien du récit d'une jeune femme qui soit possible dans la réalité, les premiers chapitres doivent donc être considérés comme rétrospectifs.
Enfin et surtout, j'y ai trouvé le récit d'une existence abandonnée au désespoir frénétique. Pourquoi ne pas tout simplement dire d'une existence désespérée?
Parce que le désespoir réel, concret, total, absolu, fait ressortir de l'existence où il s'incruste deux types d'états opposés, selon les caractères.
Certains se laisseront aller aux hasards de ce qui les entoure, indifférents et insensibles, comme des barques abandonnées, qui ballottent aux grés des vents et des marées, pendant que le temps achève, imperceptiblement, et d'autant plus sûrement, son oeuvre. C'est la désespérance apathique.
D'autres, au contraire, explosent en tourbillons d'une rage qui n'en démordra jamais. Chez eux, toute accalmie est tourbillon latent, toute apparence de beauté, de bonté, de bonheur, n'est qu'un vague et bref interlude, dont l'arrêt se fera brusquement, sauvagement. C'est la désespérance frénétique.
Les deux stades peuvent aussi, évidemment, alterner chez certains, mais pas dans ce roman.
Nous trouvons ainsi les caractères opposés de Christian et de Bérénice, du catholique et de la juive, du garçon et de la fille.
Pourquoi toute cette désespérance chez ce frère et cette soeur?
Est-ce la faute de leurs parents? Ces parents dont les différences d'âge, de culture, de religion, de caractère, de taille, de classe sociale, bref, dont leurs différences d'à peut près tout les avait attirés l'un à l'autre. Est-ce leur faute? Les contraires s'attirent, comme on dit et c'est comme ça. C'est tout.
Mais pour s'assembler, il faut se ressembler, comme on dit aussi, et c'est aussi comme ça, c'est tout. Leur mariage est donc tout aussi nécessairement devenu une guerre où on se négocie un enfant pour le tourner vers l'autre, où le moindre geste est une insulte, une attaque, pour que l'autre disparaisse. Leur monde, issu d'une attirance qui s'est transformée en dégoût, devient un territoire stérile à tout espérance.
Ce n'est donc pas la faute des parents, mais de la vie, de la mort, de tout et de rien.
C'est le destin de Bérénice et de Christian, mais c'est aussi le relativisme culturel, l'indifférente tolérance et l'indifférence tolérante à tout sens, dont on finit par perdre tous souvenirs. C'est aussi l'intolérance implacable envers ce qui ne nous détermine pas dans notre horizon dénué de sens : « Je ne m'oppose pas à ce qu'on haïsse les Grecs! Ce à quoi je m'oppose, c'est qu'on se croie, sincèrement, justifié de haïr les Grecs. C'est un vice de raison. ... Mes amis haïssons d'emblée! »(375)
Absence de sens, liberté sans horizons, c'est tout le creux de la post-modernité multiculturelle dans laquelle nous baignons tous plus ou moins.
Il y a certains caractères qui réagissent plus fortement que d'autres à cette ambiance de fin de monde, qui restent irréductiblement inaccessibles, qui détruisent les restes toujours vivants avec une cruelle innocence et c'est bien là ce que représente Bérénice. On pourra bien la détester, on s'y attachera difficilement, mais elle est beaucoup trop loin de tout ça pour être touchée : « J'ai atteint la dernière profondeur de ma solitude. Je suis là où la moindre erreur, le moindre doute, la moindre souffrance ne sont plus possibles. Je suis là où, dépourvue de tout lien, de toute assise, de tout air, ma vie, par son seul fleurissement miraculeux, m'enivre de puissance. »(350)
Elle n'a plus de chaleur dans son monde. Elle vit au « Soir d'hiver » de Nelligan (qu'elle aime tant à citer) :

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j'ai, que j'ai!

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire: Où vis-je? Où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle Norvège
D'où les blonds ciels s'en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu'est-ce que le spasme de vivre
À tout l'ennui que j'ai, que j'ai!...
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Bérénice Einberg, rebelle, fantasque, délurée, idéaliste, jalouse, promène son regard acéré sur le monde qui l'entoure, particulièrement sur ses parents dont l'antagonisme criant ne s'étend pas seulement sur les croyances religieuses (le judaïsme pour papa et le catholicisme pour maman) mais aussi sur l'éducation de leurs enfants. Car Bérénice a aussi un frère qu'elle vénère, Christian, adoré par sa mère. le père, quant à lui, s'occupe de Bérénice, un peu trop au goût de celle-ci. « Vacherie de vacherie! »
Réjean Ducharme occupe décidément une place à part dans la littérature québécoise : sa prose originale jumelée à ses personnages jusqu'au-boutistes offrent au lecteur une expérience romanesque hors du commun.
Ce roman précède L'hiver de force dans l'oeuvre de Ducharme et en constitue le précurseur autant dans le propos que dans la vivacité de la narration. J'ai, en revanche, préféré L'hiver de force, que j'ai trouvé plus abouti et parcouru d'un humour salvateur, absent de L'Avalée des avalés. Une lecture au récit échevelé, fou et cruel, empruntant à la mythologie grecque et à la Bible, sans concession pour les âmes sensibles.
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En rangeant les étagères, je tombe sur l'Avalée des avalés, de Réjean Ducharme. C'est un livre sur lequel je tombe souvent en rangeant les D. Parce que c'est un livre qui malheureusement, ne sort quasiment pas. Quel dommage… je tiens (et je ne suis pas la seule) Réjean Ducharme pour un très très grand auteur et je trouve son roman, un roman d'enfance, époustouflant. Son héroïne Bérénice est une jeune adolescente précoce qui souffre de la séparation houleuse de ses parents. Elle se met à détester les adultes et le monde qui l'entoure. Pleine de fureur et de lucidité, révoltée contre la "vacherie de vacherie", c'est un personnage génial ("La vie ne se passe pas sur la terre, mais dans ma tête. La vie est dans ma tête et ma tête est dans la vie. Je suis englobante et englobée. Je suis l'avalée de l'avalé.")

L'écriture de Ducharme est une poésie brute et vivante, pleine de formidables images : "On aimerait avoir aussi soif qu'il y a d'eau dans le fleuve. Mais on boit un verre d'eau et on n'a plus soif", ou encore: "Je suis seule. Je n'ai qu'à me fermer les yeux pour m'en apercevoir. Quand on veut savoir où on est, on se ferme les yeux. On est là où on est quand on a les yeux fermés: on est dans le noir et dans le vide."

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Quelques amies proches m'avaient conseillé de lire Ducharme, je ne me rappelle plus lequel, mais avec Ducharme, on a l'embarras du choix, j'ai donc lu l'avalée des avalés, mais Ducharme c'est aussi le nez qui voque, L'hiver de force, L'océantume, à chaque fois des torsions de la langue. Je ne sais pas pourquoi, je croyais que Ducharme était un amuseur qui faisait des jeux de mots. Les jeux de mots, ce n'est pas tout à fait la même chose. Les jeux de mots, c'est léger, désinvolte; les torsions, c'est un travail pénible, sérieux. Après avoir lu les premières pages, je me suis aperçu que sérieux, voulait aussi dire, se prendre au sérieux. Ce n'est pas toujours évident de se mettre dans la tête d'une enfant, surtout l'une qui porte en elle un univers des plus particuliers. C'est risqué, casse-cou, ça peut paraitre surfait, comme un enfant qui fait du théâtre.

L'univers de Bérénice, qui n'existe que dans sa tête, c'est ce qu'elle nous répète sans cesse, nous plonge dans le tiraillement incessant d'une jeune fille qui devient peu à peu adolescente. Bérénice est sur la brèche, en équilibre, telle une somnambule qui devient funambule. La ligne est mince, mais Ducharme s'y tien. On y croit, même dans l'excès. Bérénice est une enfant révoltée, un peu comme Bandini de Fante, cherchant la confrontation avec tout le monde. À cela, s'ajoute qu'elle est sadique. Elle aime faire mal. C'est presque existentiel pour elle. La douleur comme preuve qu'on existe. Elle prône une révolte égalitaire, contre tous : la famille, les amis, la religion, la guerre, les animaux... et surtout, contre elle-même. Personne n'est épargnée. Elle déborde de fureur. Elle se fait un plaisir à en distribuer, de la fureur, à tous ceux et celles qui croisent sa route. Et principalement à ceux qui s'entêtent à chercher à la ramener dans le droit chemin. Droit chemin pour qui ? qu'elle nous dirait.

Le tour de force de Ducharme est qu'on s'aperçoit que cette colère, violence, ce fanatisme cache en réalité une douceur mal contenue. Toute cette frivolité, cet acharnement, cette violence ne sont là que pour masquer sa fragilité, sa candeur. C'est d'ailleurs grâce à ce procédé que Bérénice nous est si attachante, si émouvante. Comme Ducharme le fait dire à Bérénice : « Je ne joue pas sur les mots, même si je me donne l'air de le faire. J'ai besoin de tendresse. » Bérénice tord les mots jusqu'à leur faire mal, tout ça, pour s'empêcher de pleurer.
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J'ai un peu de mal à faire cette critique parce que d'un côté Réjean Ducharme est un auteur québécois important et de l'autre son premier roman "L'avalée des avalés" ne m'a pas entièrement séduite car il y a un peu trop de noirceurs pour moi.
Le texte est d'une grande puissance comme d'ailleurs les chansons qu'il a écrites pour Robert Charlebois mais j'ai eu un peu de mal avec le langage québécois. Il y a des expressions que je ne comprends pas bien.
La narratrice s'appelle Bérénice Einberg. C'est une petite fille qui se réfugie "dans son palais de solitude" où elle trouve ses seules joies. Pourtant c'est une révoltée qui crie souvent "Vacherie de vacherie!". Il faut dire qu'elle a une famille un peu compliquée : un père juif, une mère catholique et un frère qu'elle aime d'amour. Ils vivent sur une île dans la banlieue de Montréal où les parents font tout pour les séparer. Bérénice cherche à partir de cette maison qui l'enclave, quitter sa mère qui la terrifie et son père qui l'ignore. Elle grandit avec la rage nourrit de tristesse.
Il y a un côté loufoque que j'aime bien comme quand son frère Christian qu'elle aime lui raconte qu'il veut devenir lanceur de javelot alors qu'il fait des études de biologie. Mais ce qui m'a gênée c'est que Bérénice parle de la même façon à 9 ans et à 20 ans.
Ce roman a été créé en 1966 et il a fortement marqué les esprits. Je comprends pourquoi car il y a quelque chose de Boris Vian dans ce texte de Réjean Ducharme qui porte vraiment un très beau nom.


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critiques presse (1)
LaPresse
26 août 2016
Dans L'avalée des avalés, Réjean Ducharme rompt avec la tradition du roman du terroir et fait exploser les frontières.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (82) Voir plus Ajouter une citation
Quand on sait où on est et qui on est, on peut, comme le chat, fondre sur la bille roulant sur le plancher et imaginer que c'est un dragon. Quand on s'est compris, on peut courir dans l'immense sphère armillaire et s'imaginer que, comme l'écureuil en cage, on joue, on se joue. Le seul moyen de s'appartenir est de comprendre. Les seules mains capables de saisir la vie sont à l'intérieur de la tête, dans le cerveau.
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Je prends goût à lire. Je me mets dans tous les livres qui me tombent sous la main et ne m'en retire que lorsque le rideau tombe. Un livre est un monde, un monde fait, un monde avec un commencement et une fin. Chaque page d'un livre est une ville. Chaque ligne est une rue. Chaque mot est une demeure. Mes yeux parcourent la rue, ouvrant chaque porte, pénétrant dans chaque demeure. (107)
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« Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S’il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit. »
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Je regarde comme il faut le saule pleureur pleurer, laisser traîner ses rameaux mous comme des cheveux dans le courant. Je regarde le saule: je me jette dans le saule. Quand un nombril du monde se jette dans un saule, le saule devient nombril du monde. Le saule me regarde: il se jette sur moi, m'avale, et le nombril du monde devient saule. Une mer est un verre d'eau. Une tempête de mer n'est qu'une tempête dans un verre d'eau.
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- Tu es jalouse à vide, mon bonne amie. Elle n'a rien pour justifier ta jalousie. Comme tu peux le voir, elle n'est même pas jolie, elle ne sait même pas s'habiller et elle n'a même pas l'air intelligente. Elle ne porte pas bien sa tête, mais qu'importe à un homme qui n'a pas besoin de tête ? Elle a un sexe entre les jambes, elle le porte haut et droit, et un sexe, ma bonne amie, un sexe de femme, un sexe comme tu as la douleur et la honte de devoir en avoir un, c'est tout ce dont un homme a besoin quand il prend une maîtresse. Elle copule et ça ne lui met pas le cœur à l'envers. Elle se regarde quand elle est toute nue et ça ne la dégoûte pas. J'ai entendu dire qu'elle lave aussi souvent son sexe que ses oreilles. Elle trouverait même tout naturel d'être assise sur son derrière quand elle est assise. Pis, elle m'a avoué qu'elle traite son sexe comme elle traite son estomac. Quand l'un ou l'autre crie famine, elle lui donne à manger. Quand on rencontre un ami, il vous tend la main. Elle, elle tend aussi son sexe. C'est un curieux spécimen d'une race à laquelle on ne veut plus guère appartenir : la race humaine. De plus, elle me trouve agréable. Elle trouve mes cravates de bon goût. Elle m'aime.
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Vidéo de Réjean Ducharme
"C'est un monstre sacré de la littérature canadienne qui est mort cet été.Réjean Ducharme avait su conquérir le monde francophone avec seulement 9 romans en 50 ans d?existence."
Réjean Ducharme - le conseil d'Emmanuel Khérad https://www.franceinter.fr/emissions/la-librairie-francophone
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