Si mon amour des livres m'a rendue folle, c'est d'abord l'amour des autres qui m'a aliénée. Ou l'absence.
Je crois que je couve quelque chose.
Ce matin, en tombant sur un pont, j'ai pris conscience que cela ne tournait pas rond. Quand mon corps s'est étalé sur le bitume, la fillette en moi s'est réveillée. Je retrouvais la petite peau à chair de poule. Je redevenais celle qui, frileuse, courbait la nuque.
Allongée sur ma paillasse, je me suis peu à peu inventé un monde. Mais s'inventer un monde, la société est contre. Aujourd'hui, je me demande comment tout effacer.
Pourtant, il n'y a pas de honte à tomber, tout le monde tombe. Mais chez moi, c'est fréquent, la route m'en fait baver, je crains la vue des ponts. Alors pour ne plus m'écorcher les genoux, je m'enfouis dans des romains informes qui font illusion.
Pour tout oublier, je lis à l'excès. Avec les pages, je fais des rondes sur le plancher. Depuis toujours, d'année en année, en compliquant la danse.
Mon armée de livres, je m'en sers comme d'une prothèse. Elle est ma branche d'arbre et je suis son hibou, ce dépressif à plumes qui, la nuit, s'agrippe à elle en dégustant le noir.
A la barre, je confesse : je cours dans les pas des héroïnes de Jane Austen en évitant la boue.
La solitude, est-ce que l'on peut aussi la soigner ?
Dans ma chambre saumon, je préfère l'oublier. Parce que pour les garçons, contrairement aux dictées, je n'ai jamais été douée.
Autour de moi, les flaques forment des images, des teintes animées, le monde d'Alice prend vie sous mes pieds.