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Critique de motspourmots


L'amour, ce grand mystère. Quelle est la part du fantasme et celle de la réalité dans le désir que l'on projette sur l'autre tant convoité ? Comment notre environnement intellectuel et artistique a-t-il façonné notre image de l'amour ? Ces questions n'étaient déjà pas simples à l'ère du papier, se sont complexifiées avec l'audio-visuel et l'avènement des images... alors, que dire du temps présent, à l'ère du digital, des réseaux sociaux et de la représentation permanente ?

Stéphanie Dupays s'empare de ces questions avec l'acuité d'une observatrice attentive de la comédie sociale à l'heure des réseaux, et le recul d'une amoureuse de la littérature habituée à lire entre les lignes. Rien d'anodin en effet à ce que Laure, son héroïne soit professeure de littérature à la Sorbonne, et spécialiste de Flaubert. le sentiment amoureux, en littérature, c'est un peu son truc, elle le décortique dans les textes à longueur de journées, tentant d'en faire partager les subtilités à ses étudiants. Alors, lorsqu'elle entame une relation virtuelle avec Vincent, forcément, chaque mot compte. Posts. Commentaires de posts. Messages privés. Ceux qu'ils échangent. Ceux que leurs contacts laissent à leur tour. La façon dont tout ce petit monde interagit. Laure est amoureuse, rêve de rencontrer enfin Vincent. Mais qui a-t-elle envie de rencontrer ? L'homme qu'elle imagine autour des indices qu'il sème à son intention ? L'image qu'il projette et celle qu'elle fantasme sont-elles conformes à la réalité ?

J'avoue que l'observation de nos comportements sur la toile est terriblement juste et fait prendre conscience des déviances que les écrans induisent dans notre jeu social. Ou plutôt de la façon dont ils les accentuent, voire les pervertissent. Parce que l'attente, le rêve, le fantasme, tous les ingrédients de la mécanique du jeu amoureux n'ont pas attendu Facebook ou Instagram pour déclencher les tempêtes sous les crânes, à tout âge. Ce qui a changé, c'est l'instantanéité. Comme le téléphone a bousculé les relations épistolaires, la messagerie instantanée et son petit point vert ont décuplé la tachycardie inhérente au doute instillé par l'attente. le jeu amoureux est désormais "multimedia" comme l'a d'ailleurs montré récemment avec beaucoup d'humour Philippe Annocque dans Seule la nuit tombe dans ses bras (Quidam / août 2018), avec la perversion que cela induit, cette capacité à espionner l'autre au moyen de ses actions en ligne.

Mais ce qui explose à la lecture de ce roman, c'est l'illusion dans laquelle un individu peut s'enfermer. L'illusion de relations, amicales ou amoureuses. Illusion car leur virtualité fausse toute notion d'engagement, toute implication. le parcours de Laure qui "souffrait d'une déformation professionnelle : elle voyait le réel à travers les livres" est en ce sens révélateur. Sa vision du réel ne passe plus seulement par les livres, mais désormais par l'écran de son ordinateur ou de son téléphone. Consciente que chaque individu se définit aussi par ses goûts littéraires ou artistiques, les musiques qu'il écoute, quelle crédibilité alors accorder à ce que chacun dévoile de soi sur les réseaux ? Sincérité ou mise en scène ? Là encore, le jeu de rôle éventuel ou la mystification ne sont pas des phénomènes nouveaux dans le jeu amoureux. Ce sont les outils qui ont changé et la façon dont ils vous jettent en pâture à un public dont vous vous seriez bien passé. Des outils qui vous attrapent sur la base d'une fausse promesse : briser votre solitude.

Stéphanie Dupays mène finement sa barque, avec un recul constant qui permet de décortiquer la mécanique des sentiments dans l'esprit de Laure. On est dans la raison, plus que dans l'émotion. Là où Camille Laurens montrait la dérive psychotique d'une femme engluée dans ses jeux de rôles et de séduction par écrans interposés (Celle que vous croyez - Gallimard - janvier 2016 et récemment superbement adapté au cinéma avec Juliette Binoche dans le rôle De Claire), Stéphanie Dupays dote Laure d'une solidité psychologique à toute épreuve. Tout en laissant affleurer le danger qui pointe à la moindre perte d'équilibre...

Disons qu'en refermant le livre, on a juste envie d'organiser une bonne soirée entre amis, IRL comme on dit sur les réseaux, et de se moquer un peu plus des drôles de demandes de mise en relation que l'on reçoit parfois. CQFD.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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