Le rêve de ma mère

Voilà donc tout ce qui me reste de ces premières années.De vagues impressions,dont je ne suis même pas certaine qu'elles n'aient pas été ravivées par les bribes de propos que j'entendis par la suite.

Mais que sait-on de la force d'un rêve irréalisé? De la puissance de l'esprit d,une mère pour que ces rêves se concrétisent, par delà la mort, en son enfant? (p. 207)

le théâtre: On exprime sincèrement ces sentiments en scène, on pleure de vraies larmes, mais rien ne vous submerge par surprise, tout ce que vous exprimez est " sous contrôle". (p. 94)

Et puis, constater si brutalement que les deux piliers de sa vie, le père et la mère, peuvent disparaitre ainsi du jour au lendemain occasionne un automatique recentrage sur soi. A quelle affection se fier, sur qui s'appuyer en confiance, si le soutien le pus solide, le plus fiable, peut se dérober ainsi?. (p. 40)

Ce que je veux, c’est mon enfance à moi, et vécue par moi. Pas celle de la petite fille vue par les yeux, le prisme mental d’un garçon de quatorze ou quinze ans. Moi, mes parents, notre vie d’alors vus de sa mémoire à lui, ce ne sont pas les miens. Je n’ai pas envie de me fabriquer des souvenirs à travers ceux de quelqu’un d’autre.

Alors peut-on, à travers une histoire inventée, « mettre à distance » un danger psychologique ? L’enfermer entre les lignes, les pages ? Exorciser, par l’entremise d’un personnage, la dépression qui vous menace, en la vivant en quelque sorte par procuration ?
Je m’interroge encore…

Mon besoin d’écrire me restait sur les bras – qu’en faire ? Je ne tenais plus de « journal intime ». Écrire juste pour soi était devenu insatisfaisant, après le partage épistolaire. Je pensai alors à écrire une histoire.
Comme j’étais comédienne, il me sembla logique d’écrire un scénario – avec un rôle principal pour moi, évidemment. Mais après quelques mois de travail, je relus le résultat, absolument catastrophée : cette structure narrative sèche, descriptive, n’exprimait rien de ce que je souhaitais raconter, car m’intéressait uniquement « ce qui ne se voyait pas, et ce qui ne se disait pas » – embêtant, pour un film !

Un jour, lorsque j’étais encore au lycée, je dus être particulièrement brillante dans une description quelconque (honnêtement, je ne sais plus quel était le sujet de cette rédaction), car ma copie me fut rendue après correction avec un zéro, et ce commentaire : « Ce n’est pas bien de copier dans un livre » ! Ce fut animée d’une véritable fureur, que ma tante se précipita au lycée, avec moi et ma copie à sa suite, pour réclamer justice : JAMAIS je n’avais copié dans un livre, elle m’avait VUE l’écrire !

On ne peut être assuré de se trouver à l’abri de ce risque, si fort qu’on le souhaite et si certain que l’on soit de sa santé mentale et de son équilibre – il est nombre d’exemples célèbres : Romain Gary, William Styron, entre autres, pour ce qui est des écrivains, sans parler de Bruno Bettelheim…

On s’y habitue, on ne s’en rend même plus compte, c’est léger, transparent. Passé les premiers temps du choc, on peut très bien vivre avec, rire, aller de l’avant, avoir l’impression d’être de plain-pied avec les autres, de partager leurs projets aussi simplement qu’eux. Puis, au détour d’un battement de cils, d’un silence, c’est là… Ce léger voile qui vous met à distance, subtil rempart inconscient qui vous empêche d’être innocemment participant. L’indécrottable petite solitude de celui – ou de celle – qui a « vu cela ».