Isaure gravit l'escalier sans daigner répondre. Elle eut l'impression que les murs sombres de la maison se resserraient sur elle pour la broyer, la détruire une bonne fois pour toutes. Les mauvais souvenirs qui affluaient la suffoquaient. Sur le palier, elle s'immobilisa. Elle se revoyait à la même place, fillette, quand elle devait regagner sa chambre le ventre creux et les joues cuisantes des claques reçues.
Je n'imaginais pas, avant de descendre dans le puits du Couteau, dans quel enfer toi et les autres mineurs passez des heures chaque jour.
Aucune femme ne mérite d'être traitée ainsi ni brutalisée.
Elle avait souffert, mais, à présent, elle possédait un trésor, leur amour triomphant, source vive de joie et de tendresse.
On tremble sans cesse, quand on est maman.
Les nerfs éprouvés par l’atmosphère électrique, la chaleur et le fracas de l’orage, Isaure lâchait prise. Bouleversée, elle n’était plus qu’une fillette en larmes au chevet de sa mère mourante. D’un élan spontané venu du plus profond de son cœur, elle se pencha et enlaça doucement Lucienne. Toute la tendresse qu’elle n’avait pas pu manifester enfant la submergeait et c’était en ayant l’impression de rattraper le temps perdu qu’elle couvrait ses joues de baisers légers en marmonnant des mots réconfortants.
Flattée autant que touchée, la cuisinière hocha la tête. Son instinct et son bon sens populaire l’aidaient à voir Isaure telle qu’elle était vraiment, au-delà de sa beauté physique et de son éducation. Ses jolies robes comme ses bijoux discrets dissimulaient à peine pour elle sa fragilité d’enfant perdue et son âme écorchée.
Une femme ne doit pas renier son enfant, une femme doit respecter son époux.
Oui, maman, mais ne te fatigue pas à m’expliquer ce que je sais depuis longtemps. Tu n’es pas la plus coupable. Ne te tourmente pas. De toute façon, nous ne pouvons pas revenir en arrière. Rien n’effacera les lubies de la comtesse ou les méchancetés de mon père. C’est terminé, j’ai de l’argent, un métier, des amis…
Elle eut l’impression que les murs sombres de la maison se resserraient sur elle pour la broyer, la détruire une bonne fois pour toutes. Les mauvais souvenirs qui affluaient la suffoquaient. Sur le palier, elle s’immobilisa. Elle se revoyait à la même place, fillette, quand elle devait regagner sa chambre le ventre creux et les joues cuisantes des claques reçues. « J’ai grandi dans la violence, sous un régime de terreur et d’humiliation, songea-t-elle. Maman ne m’a jamais protégée, jamais consolée. Qu’est-ce que je fais là ? Mon devoir de fille ? Et elle, ses devoirs de mère, elle s’en est bien moquée ! »