Son père détournait la conversation, comme d’habitude, en évitant d’évoquer longuement la défunte. On ne touche pas à une blessure qui ne cicatrisera jamais. Les femmes du village ne tarissaient pas d’éloges sur ce veuf inconsolable. Il avait élevé seul son fils, avec douceur et affection, sans regarder les autres filles prêtes à remplacer la disparue.
Hugo avait loué sa maison du bourg à Catherine et à claude, car il préférait dormir sur sa gabare lorsqu'il mouillait au pays. Le jeune capitaine, confronté à mille soucis, prit de la maturité et une certaine dureté. Il avait renoncé à revoir sa belle Alexandrine, mais, curieusement, se montrait chaste durant les escales. Cette fille aux yeux noirs, à la peau dorée, lui revenait à l'esprit, au coeur, dès qu'il regardait une autre femme.
Ce cahier disparut avec elle. Il faut imaginer que ces pages, couvertes d’une fine écriture à l’encre violette, racontaient l’histoire d’un grand amour, né au bord du fleuve Charente, dans le cœur d’une fillette rêveuse et passionnée, pour un jeune homme épris de voyages et de liberté. L’histoire d’une époque aussi, d’un pays où l’on vivait de peu, en travaillant beaucoup, mais où les mots fête, devoir, patrie avaient encore un sens.
L’histoire des gabariers, sans doute, mais surtout l’histoire d’une passion, car Louise n’avait toujours vu dans l’eau du fleuve que le reflet d’un seul visage…
La promesse nichée dans ce fragile corps de femme le bouleversait. Après tant de souffrances, de peurs, de chagrins, la vie lui offrait le plus merveilleux cadeau, un enfant de leur amour.
Il en rêvait tout éveillé et, souvent, effleurait du bout des doigts, au fond de sa poche, un minuscule coffret qui contenait une bague. Le bijou l’unirait à sa fiancée, mieux que des serments.
Le jeune capitaine, confronté à mille soucis, prit de la maturité et une certaine dureté.
Hugo poussa un profond soupir. Puis il chercha à s'asseoir, assommé par la nouvelle.
- Mon Dieu ! gémit-il seulement.
Ma pauvre petite Louise...Je l'ai perdue ! Oh !
Connaissant son père, il a dû la pousser à ce mariage de peur qu'elle reste fille.
Hugo bâtissait déjà son avenir avec Louise, sûr de lui et sûr d'elle.
Fort de son amour tout neuf, il se sentait à l'aube de la vie dont il avait si souvent rêvé.
Hugo éprouvait des sensations grisantes. Ce fleuve qu'il avait déjà parcouru bien souvent avec ses oncles, il croyait le redécouvrir à chaque méandre, car cette fois il ne recevait pas d'ordres, mais il en donnait.
Allant et venant d'un pas assuré sur le point, il scrutait les berges, la silhouette familière d'un moulin. Le jeune capitaine respirait à pleins poumons le vent doux de l'été.
Les gens heureux n’ont pas d’histoire.