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Critique de AMR_La_Pirate


Si je me suis plongée dans ce recueil de textes de Marguerite Duras, c'est parce que l'adaptation théâtrale de l'un de ses extraits m'a particulièrement touchée.
En effet, j'avais été bluffée en mars dernier, par l'interprétation de Corinne Mariotto, pour La Compagnie de la Dame dans la pièce intitulée La Maison, d'après La Cuisine de Marguerite et La Vie matérielle de Marguerite Duras.
Ne connaissant cette auteure que par L'Amant, je sentais bien alors que j'étais passée à côté de l'essentiel la concernant…

Je découvre dans La Vie matérielle une femme proche et abordable, avec ses moments de faiblesse et de lucidité, avec sa vision aiguisée du monde qui l'entoure… une femme qui avait l'âge d'être ma grand-mère… (Mais ma grand-mère avait une vie beaucoup plus rangée et ne picolait pas…).
Ici, Marguerite Duras ne cache rien de sa façon d'être, de ses retards, de certaines de ses rencontres, de son regard et de ses opinions sur les hommes, sur l'homosexualité et l'hétérosexualité, sur le handicap… Elle écrit sur sa maison de Neauphle, sur la vie parisienne des années 80 notamment dans le sixième arrondissement où elle habitait ; elle ne dit pas tout mais parle, par exemple, de la mort de sa mère, de l'Indochine, de Yann Andréa, du « look Duras » (gilet, col roulé, jupe droite), de son fils, de certaines de ses relations amicales ou amoureuses, de ses manies, de ses angoisses, de ses visions délirantes, de sa façon de conduire... Elle ne cache ni le sexe, ni l'alcoolisme, ni la maladie, ni les mauvais jours et les mauvaises rencontres.
Elle évoque des faits divers, dont l'affaire Villemin, autour de notions comme le sublime ou le pouvoir ultime du langage, donnant la prédominance au littéraire sur l'évènementiel.
Elle nous parle aussi de ses lectures du moment, de littérature en général, de Proust, du théâtre, du jeu superflu des acteurs, des autres femmes auteures ou dramaturges comme Nathalie Sarraute… ; elle évoque l'écriture autour de ses oeuvres déjà publiées, partage ses doutes et ses interrogations, analyse la parole journalistique ou télévisuelle. Elle nous livre des réflexions sur l'art, sur la musique et naturellement sur le cinéma.

Son écriture est encrée, au sens de l'encre qui sert à écrire, dans une forme d'oralité : c'est un dire à lire, un livre à lire et à dire ou à écouter, à méditer aussi. L'auteure le définit bien mieux que moi dans la quatrième de couverture de l'édition Folio et dans son prologue : « cette écriture flottante […], ces aller et retour entre moi et moi, entre vous et moi dans ce temps qui nous est commun ».
C'est un partage, une conversation, un échange à un moment précis sur certains sujets… Ainsi, pour « La Maison », Marguerite Duras est dans la cuisine de sa maison de Neauphle et prépare une soupe de poireaux tout en pensant tout haut. Tous les sujets qu'elle aborde sont très actuels et toujours d'actualité malgré le temps passé ou, du moins ils nous concernent et nous parlent même si la société a un peu changé depuis 1986. C'est intimiste et, dans la mise en scène dont je parlais en introduction, l'odeur des poireaux qui cuisent, les quelques rires en sourdine dans le public, les hochements de tête appréciatifs, les réactions spontanées, les coups d'oeil partagés traduisent bien cette forme de communion dans le temps commun revendiquée par l'auteure…
Marguerite Duras est né en 1914 ; en 1986, elle avait 72 ans… Ce que je ressens est très personnel… En 1986, j'étais mère pour la première fois et ma grand-mère était venue passer quelques temps chez nous pour m'aider un peu. C'était une femme admirable : en 1986, elle avait 82 ans mais était d'une rare vaillance et nous étions très complices toutes les deux… Voir la pièce citée plus haut et lire le texte dans ce livre m'a fait penser à elle. Je découvre Marguerite Duras comme une grand-mère soucieuse de son entourage, du bien-être de chacun et de la bonne marche de la maison tout en ayant un regard aiguisé sur le monde qui l'entoure. « La Maison » figure parmi mes textes préférés de ce recueil, même s'il n'en est pas le plus représentatif.

La lecture de la Vie matérielle est une formidable rencontre et l'occasion pour moi de me pencher très vite sur d'autres textes et livres de Marguerite Duras.
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