Une seule question m'obsédait, en vérité, pourquoi s'était-il acharné à faire de moi son ennemi, son redresseur de torts, alors que dans mon souvenir un père et un fils étaient forcément complices ? (p. 41)
(...) Et huit pages plus loin, Rilke a déjà trouvé la solution à l'effroi qui ne le lâche plus: " J'ai fait quelque chose contre la peur. Je suis resté assis toute la nuit et j'ai écrit" Ah, me dis-je, voilà donc bien le livre qu'il me fallait ! (p. 155)
Non, mais attendez, le gars il est d'une famille nombreuse, il a eu des ennuis comme tout le monde, chez nous aussi on était huit et je peux vous dire que c'était pas la fête tous les jours, qu'est-ce qu'on en a à faire que sa mère elle soit devenue folle dingue? Des dingues, il y en a plein les rues, s'ils se mettaient tous à raconter leur histoire, vous voyez un peu le tableau?
Car bien sûr je vais écrire, comme je l'ai toujours fait, pour ne pas succomber sous le poids des événements. J'ai toujours écrit pour ne pas mourir d'accablement. (p. 116)
Je ne peux pas, je ne peux pas, avais-je répété stupidement en gagnant un fauteuil dans lequel je m'étais affaissé tout en songeant que j'allais peut-être mourir d'un instant à l'autre, ou du moins m'évanouir, tant la lettre était effrayante. Je voulais dire que je ne pouvais pas la supporter tout simplement. Alors Hélène était allée la lire sur mon écran, puis se tenant debout près de moi, elle avait essayé de me réconforter tout en me caressant les cheveux. Ce ne sont que des mots, mon chéri, il veut faire le malin, déguiser une arnaque en drame familial, tu sais bien comme il aime les drames...ce n'est qu'un petit arnaqueur, un petit con.
...Un enfant vient au monde tout crotté de sang et d'excréments, et cependant je ne connais pas de toute la vie de moments plus beaux, plus bouleversants, qu'une naissance. Ne t'en fais pas mon petit, mon trésor précipitons nous aussitôt, le visage baigné de larmes, on va te nettoyer de tout ça et tu vas grandir dans la lumière. Par la suite, inlassablement, me dis-je, nous nettoyons l'enfant de toute la merde qu'il produit, les couches-culottes, les crottes de nez, les oreilles, les yeux, les ongles...Inlassablement nous le nettoyons pour l'élever, le hisser toujours plus haut qu'il ne l'est en réalité, qu'il grandisse dans la beauté, dans une belle image de soi, et que plus jamais la merde qui nous est inhérente ne puisse le recouvrir. Elever un enfant, me dis-je, c'est lui apprendre à porter avec légèrté, avec élégance, cette part d'ombre et nauséeuse que chaque être contient et avec laquelle il lui faut cheminer et composer toute sa vie. Ce que nous appelons par un raccourci "notre propre merde", n'est ce pas, chacun y range ce dont il ne lui viendrait pas à l'esprit de se vanter, mais qui parfois le rattrape, le jetant dans un profond désespoir...
- La vie des autres intéresse tout le monde, je crois, à condition de trouver les mots pour la raconter. C'est comme la bouffe, si elle est cuisinée n'importe comment, personne ne va en vouloir. A mon avis, c'est dommage que nous ne soyons pas tous écrivains, très dommage?
- Vous rigolez ? Qu'est-ce qu'on ferait de tous ces bouquins ?
- On les lirait, bien sûr. Ils nous rendraient moins bêtes. Vous n'avez pas remarqué que tout ce que nous vivons , tout ce qui nous arrive, est déjà arrivé aux autres ? Seulement ils sont morts sans pouvoir nous raconter comment ils s'en sont sortis.
Et comme chaque fois que je me sens perdu, à la fois terriblement en colère contre le destin et tout près de pleurer, je m'imagine que je vais découvrir chez Gibert, comme par miracle, le livre qui me parlera de ce qui m'arrive et me donnera l'envie de me remettre à écrire.
Car bien sûr je vais écrire, comme je l'ai toujours fait, pour ne pas succomber sous le poids des évènements. J'ai toujours écrit pour ne pas mourir d'accablement...
Marc, faites-moi plaisir, m'avait-il dit en m'emmenant déjeuner, apprenez à profiter es bons moments que vous offre la vie.