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Critique de Henri-l-oiseleur


Les éditions P.O.L. font paraître les oeuvres complètes du romancier Guillaume Dustan. Trois romans constituent ce premier volume, "Dans ma chambre", "Je sors ce soir" et "Plus fort que moi", accompagnés d'une préface générale, de notes et d'introductions de Thomas Clerc. Thomas Clerc est un essayiste représentatif de l'actuelle culture dominante Woke, mais ses réflexions érudites, approfondies et élaborées, font voir au lecteur un visage inattendu de cette culture, qui nous apparaît le plus souvent comme un fanatisme imbécile. La lecture de ses préfaces est pleine d'intérêt, par le mélange qu'elles présentent de réflexion philosophique et de mythologie de gauche.

Par contraste, les trois "textes" de Guillaume Dustan semblent étrangers à toute théorie et à toute pensée abstraite. C'est le choix de l'auteur, qui n'était pas un ignorant : son parti-pris d'écriture relâchée, soigneusement désaffiliée de tout héritage culturel, résulte d'une esthétique et d'une idéologie, que l'on voit aussi à l'oeuvre chez des auteurs comme Angot, Ernaux ou Despentes. Il présente ailleurs ces trois ouvrages comme une "autopornographie", et il lui a paru bon de raconter ses récits sexuels dans le style le plus laid possible. Bien sûr, lui et ses pareils s'imaginent que l'entrée de la sexualité "crue" dans la littérature est une libération en soi, alors qu'au fond ce n'est qu'un changement de rhétorique, une stylistique et une esthétique nouvelles (ou non). Tout cela n'a rien de cru, de trash et de tripal : par définition, écrire c'est créer de la culture, accumuler effets de style et de langue qui miment et imitent le langage parlé et sa crudité. Jamais un homme inculte n'écrirait comme cela : l'inculture s'accompagne d'un respect profond et irréfléchi pour la langue savante et classique. Il faut au contraire être un bourgeois cultivé pour savoir éliminer tout l'héritage culturel reçu et inventer une langue imaginaire parlée par des ignorants.

Comment expliquer l'omniprésence du sexe, ou plus précisément de l'homosexe, dans ces trois romans ? L'auteur a choisi de ne parler que de cela, et de ce qui s'y rattache : drogues, boîtes de nuit, musique, vêtements de marque, maladie du sida, sado-masochisme, etc... Dans l'univers de Guillaume Dustan, l'identité des personnages, à commencer par le narrateur, repose sur le sexe : après tout, ce sont des homo-sexuels, à savoir des êtres qui se définissent uniquement par leur sexualité, dont la "fierté", et l'essentiel de l'existence, consistent en cela. Un des mythèmes amusants de Thomas Clerc est l'expression "communauté homosexuelle" : Guillaume Dustan fournit au lecteur un document sur la vie de cette "communauté", à la fin du XX°s et dans les lieux où elle se concentre. On ne lui reprochera pas plus de se consacrer à cette minorité de minorité, qu'à Proust d'écrire sur les duchesses du Faubourg Saint-Germain.

Reste à dire un mot sur la nature romanesque de ces ouvrages, sous-titrés "romans". Un récit, même consacré à des faits réels, à l'exclusion de toute fiction, par sa structure, peut passer tout aussi bien pour un "roman" que pour une "autobiographie", ou une "autofiction". Il n'existe aucune définition formelle fiable du genre romanesque. On peut toutefois rappeler que le roman tel que nous le connaissons, relate les difficultés et les déboires d'un individu face à une société, ou à des groupes sociaux. Guillaume Dustan, en bon écrivain moderniste, répudie cette fonction critique, souvent ironique, toujours décalée, du roman et de son héros : son narrateur est un spécimen représentatif de la faune "communautaire", face à laquelle il n'a absolument aucun recul, ni aucun regard critique. Il est très bien intégré, il est parfaitement comme les autres. On est donc loin du roman véritable, ce qui n'est pas surprenant, puisque la culture woke rejette tout héritage, surtout quand il pourrait éveiller l'esprit.

L'unique point de divergence du narrateur avec ses congénères, c'est qu'il écrit. Mais ce que l'écriture pourrait avoir de démystificateur, d'éclairant sur les mensonges d'un groupe humain et sur sa mythologie, est totalement écrasé par l'obsession sexuelle et l'abrutissement des drogues. L'univers décrit peut fasciner et troubler, ces romans de Dustan sont très intéressants, malgré l'autolimitation et les parti-pris de l'auteur.

Thomas Clerc fait de Guillaume Dustan un écrivain dérangeant et iconoclaste. Non, c'est un conformiste.
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