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Critique de Henri-l-oiseleur


Les éditions P.O.L. proposent le second volume des Oeuvres de Guillaume Dustan, rassemblées et publiées par Thomas Clerc, comme le premier. Un troisième tome devrait paraître. On trouve ici trois ouvrages de taille différente, le long "roman" intitulé Nicolas Pages, suivi de deux autres "romans", "Génie Divin", et enfin un court texte, LXir. Comme dans le premier volume, nous sommes loin du roman au sens courant du terme, mais c'est toute l'entreprise de Dustan et de son éditeur Thomas Clerc qui est concernée par cette appellation négligente.

Guillaume Dustan élabore dans ces trois ouvrages une politique fondée sur ses préférences sexuelles, dont il fait non seulement une identité, mais la base d'un programme politique, celui du "libéral-libertaire", le citoyen contemporain qui n'a que des droits sur une "société" perçue comme injuste a priori, persécutrice d'innocentes minorités et devant éternellement expier ses crimes en les "libérant". Ce contemporain est un individualiste extrémiste, que ne concernent en rien les devoirs sociaux qui entraveraient ses droits à la jouissance, comme on le voit dans la querelle du préservatif qui opposa l'auteur à l'association de lutte contre le sida Act Up. Ces textes datent des débuts des "années 2000", pour parler comme l'auteur, et nous voyons aujourd'hui dans la culture officielle le triomphe des idées (et parfois des personnes) qui commençaient à percer quand Dustan écrivait : lire ce volume, c'est voyager au sein du Wokisme naissant, et l'effet d'exotisme est garanti pour un lecteur de Philippe Muray. Dustan proclame : "Jamais je ne vieillirai". Peu de temps après, nous voyons ses vieilles idées triomphantes se pétrifier en catéchisme obligatoire de la classe dominante.

Dans ce foisonnement idéologique, on retiendra le refus de l'intellect, considéré comme "hétérosexuel et patriarcal blanc" et associé à la "musique" telle que tout le monde l'entend aujourd'hui : "Le beat binaire de la musique congédie l'intellect au profit de la seule perception" (p. 210). L'humain ainsi animalisé est donc délesté de ses facultés critiques au profit du bougisme, de la mode, de la drogue et d'une série d'injonctions commerciales (libérales) auxquelles il doit obéir pour avoir l'air cool : "Mort aux mots" (p. 565). Par l'effet des drogues, de la musique et de la consommation cool, l'être humain selon Dustan (qui appelle, à la suite des nazis, des fascistes et des communistes, à la création d'une nouvelle humanité modifiée) accepte d'être de son temps, de sa génération, de sa tribu, sous l'égide bienveillante des marques qui lui assurent contre argent sa dose de plaisir quotidien. Lire Dustan, c'est s'initier aux arcanes de la société contemporaine dans ce qu'elle a de plus libertaire, c'est-à-dire de plus tyrannique : le devenir-monstre du monde, pour reprendre la formule de Philippe Muray, se montre à visage découvert dans ces précieux volumes. L'individualiste extrémiste, jouisseur solitaire, s'invente des communautés imaginaires qui, au fond, ne sont que des marques et du marketing.

Alors, malgré le cri de "Mort aux mots", cet univers-monstre a sa littérature, pour quelque temps encore. Se comparant à Angot, l'auteur semble croire qu'on le hait, parce qu'il parle de lui, l'autobiographie (ou la littérature du moi) étant par nature subversive : "Il y a un silence autour de moi. On ne m'aime pas. C'est un peu comme Angot, je dois le dire. On ne nous aime pas. Parfois, si, mais bon, globalement, c'est plutôt la haine et le souhait de mort qui prédominent. Bon, pourquoi ? Parce qu'on parle de notre vie, je pense... Je me révèle. C'est la Révélation, quoi, je dis tout, je n'ai peur de rien, c'est le Christ, même s'il n'y a pas la croix, les gens ne supportent pas, ça." (Génie Divin, p. 501) Ces lignes révèlent, en effet, non seulement des éléments de langage devenus prétextes à oppression ("la haine", entendue extensive ment, puisque haïr c'est ne pas aimer ...), mais les modes de pensée et de raisonnement logique de l'auteur, et ce qu'ils trahissent.

Celui-ci désigne la Grande Ancêtre de cette littérature, dans un hommage (Nicolas Pages, p. 282) : "Duras pour la première personne et le mauvais français, le mal écrit des livres des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, quand elle s'est libérée". La théorie littéraire qui suit associe le "bien écrire" à la droite hétérosexuelle, ce qui conduit Dustan moins à la liberté créatrice qu'au slogan communautaire et publicitaire : "Consommer pédé c'est bien, faire de la valeur ajoutée pédé c'est mieux" (page suivante, 283). Voilà le libertaire, qui milite pour soi et pour sa minorité, rejoignant ici le libéral, dans une simplicité d'épure.

Ces trois "textes" sont dont très instructifs, symptomatiques à défaut d'être agréables à lire. Il est curieux de lire un gros livre de sept-cent quatre-vingt dix pages sur l'hédonisme, sans que la question du plaisir du lecteur soit jamais abordée.

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