Il est des livres, rares, comme Ebenezer le page, qui évoquent un cours d'eau paisible , ici, c'est une mer de particules de vies, de réminiscences, de stigmates de souvenirs. La musicalité du récit s'insinue en nous et nous emmène à Guernesey, l'île d'Ebenezer, début du XXème siècle.
D'une beauté saisissante, ce roman est une relique confidentielle enfermant une écriture d'une élégance renversante, les images de
Sarnia (autre nom de l'île) nous envahissent, on sent ces bourrasques de vent pénétrantes, la chaleur des mots nous ramène au coin du feu et c'est avec avidité qu'on écoute religieusement Ebenezer nous conter ses
mémoires.
Nulle précipitation, si la mer se déchaîne, ce monument littéraire, lui, navigue précautionneusement, le temps n'existe plus, on se love entre ces pages délicates, on savoure le charme de ce bijou qui aurait pu ne jamais voir le jour sans la ténacité des proches de
Gérald Basil Edwards, qui, à sa mort en 1976, leur laissera ce manuscrit remarquable.
Ebenezer a 80 ans, son coeur est une citadelle qui enferme un humour truculent propre aux hommes obstinés et abrupts.
Du berceau de ses amitiés aux branchages des amours, des feuillages de querelles aux camouflages des trahisons, il porte le poids de son histoire qui par la simplicité de sa vie sur son rocher jamais quitté, devient un hymne d'une philanthropie aux multiples facettes, une esquisse pittoresque des êtres de ce bout de paradis anglican.
Ebenezer ébouriffe la foi omniprésente, défrise un petit monde imprégné de conventions, il coiffe au poteau les croyances et les postures hypocrites d'une époque pourtant tant aimée et aujourd'hui révolue.
C'est dans ce regard pénétrant dans lequel brille l'intelligence et dans la tragédie des âmes enfilant des masques de comédie que réside toute la grandeur de ce livre.
C'est dans la noblesse de coeur que se loge la profondeur de ses affects, par la grâce des ressentis purs qu'il diffuse des mots ivres.
La philosophie n'est pas le privilège d'une classe bien spécifique et
Gérald Basil Edwards nous le prouve en l'exposant dans sa plus grande simplicité. La sagesse flirte avec l'altruisme et donne naissance à ce récit qui dès son premier cri nous enveloppe de toute l'étendue de l'humanisme.
Parsemé d'histoire , ce livre est également la mémoire de Guernesey, le coeur même des habitants qui battait au rythme des évènements , la célébration d'une île authentique devenue ce paradis fiscal clinquant.
Délicate et feutrée, la chronique de la vie imaginaire d'Ebenezer le Page est un diamant brut. Un chef d'oeuvre intimiste qu'on murmure aux oreilles initiées avec délicatesse.
Merci mille fois aux éditions
Toussaint Louverture pour ce bijou.