peut-être que l' "infini" n'avait pas de sens ... et que l' "immortalité" était un mirage auquel nul humain ne devrait aspirer.
Juste avant d'aborder le travail du bois, il avait dévoré passionnément tous les textes de mathématiques pures disponibles à la bibliothèque centrale, avait pratiqué tous les logiciels d'apprentissage puis avait personnellement ajouté de nouveaux et importants résultats à la théorie des groupes, sans être troublé par le fait qu'aucun des mathématiciens de l'Élysium n'aurait jamais connaissance de ses travaux. Il avait auparavant écrit plus de trois cents opéras-comiques, avec des livrets en italien, français et anglais, qu'il avait pour la plupart mis en scène, avec des acteurs et des spectateurs simulés. Avant cela, il avait patiemment étudié la structure et la biochimie du cerveau humain pendant soixante-sept ans ; vers la fin, il avait totalement appréhendé, à sa grande satisfaction, la nature de la conscience. Chacune de ses recherches avait été, en son temps, une occupation qui l'avait complètement absorbé, une passion qu'il avait complètement assouvie. Il s'était même, une fois, intéressé aux Élysiens.
Plus maintenant. Il préférait penser aux pieds de table.
Il s'intéressait encore à Kate, toutefois. Il avait fait de cette relation l'un de ses invariants. Et il l'avait négligée ces derniers temps ; il y avait presque dix ans qu'ils ne s'étaient pas vus.
Babbage avait conçu la Machine analytique sans vraiment s'attendre qu'elle construite de son vivant. Les fanatiques des voyages dans l'espace concevaient des engins intersidéraux jusqu'au moindre boulon depuis les années soixante. Les partisans de la terraformation ne cessaient de produire des études de faisabilité exhaustives pour des projets qui n'avaient aucune chance d'aboutir avant un siècle, sinon plus. Pourquoi ? Pour concrétiser des expériences imaginaires. Comme ébauches de preuves.
La plupart des humains en chair et en os vivent et meurent sans jamais savoir ce qu’ils sont, ni ne s’en préoccupent ,repoussant avec mépris l’idée même que cela puisse avoir de l’importance. Mais vous n’êtes pas en chair et en os. Vous ne pouvez pas vous permettre le luxe de l’ignorance.
Mais, savez-vous, même à l'heure actuelle, nous sommes beaucoup moins traînés dans la boue que les gens qui s'escriment à obtenir une hyperlongévité organique - à coups de transplantations d'organes, de rajeunissement cellulaire, etc.- parce que nous, au moins, ne faisons plus grimper le coût des soins médicaux, ni ne disputons aux autres l'accès à des établissements hospitaliers surchargés. Et encore moins consommons-nous les ressources naturelles à la vitesse à laquelle nous les consommions de notre vivant. Si la technologie progresse suffisamment, l'impact sur environnement de la plus riche des Copies pourrait en fin de compte se révéler inférieur à celui de l'humain le plus ascétique.
Je n'aurais jamais pensé, dit-elle, les joues empourprées, le souffle coupé, que j'assisterais... à la désintégration d'un univers... avec un banquier... tout nu... sur les bras...
Le Cosmoplexe était un univers "jouet", un modèle informatique qui obéissait à ses propres "lois physiques" simplifiées, des lois bien plus faciles à aborder mathématiquement que les équations de la mécanique quantique du monde réel. Des atomes pouvaient exister dans cet univers stylisé, mais il étaient subtilement différents de leurs homologues du monde réel; le Cosmoplexe n'était pas plus une simulation fidèle du monde réel que le jeu d'échec n'était une simulation fidèle des combats médiévaux. Il était toutefois, aux yeux de bien des chimistes du monde réel, beaucoup plus sournois que les échecs. La fausse chimie qu'il supportait était bien trop riche, trop complexe et trop séduisante. p 58
Il donna un coup de pied dans I'une des portes, de toutes ses forces ; le bois sembla céder légèrement mais, lorsqu'il en examina la surface, la peinture n'était même pas éraflée. Le modèle refusait d'admettre les dégâts, et les lois de la physique pouvaient aller se faire foutre.
Naguère, lorsqu’il se préparait à être numérisé, il avait eu deux avenirs.
Maintenant, il avait deux passés.
- Savez-vous ce qu'est une configuration jardin d'Eden? demanda Durham.
Maria mit une seconde à reprendre ses esprits.
- Oui, bien sûr. Dans la théorie des automates cellulaires, c'est un état du système qui ne peut être le résultat d'aucun autre état antérieur. Aucune autre configuration de cellules ne peut lui donner naissance. Si l'on veut une configuration jardin d'Eden, on est donc obligé de l'introduire manuellement en tant que premier état du système. p. 249