Elle arpente le labyrinthe du passé en relisant les lettres. Se recrée, elle et Bleu, qui semble si jeune maintenant au fond de son coeur.
As-tu déjà éprouvé une faim qui s'aiguise quand tu l'assouvis, devenant si vive, si ardente, si éclatante qu'elle pourrait te couper en deux et libérer quelque chose de nouveau ?
Et je suis aussi tienne d'autres manières : tienne quand je scrute le monde à la recherche d'un signe de toi, avec l'apophénie d'un haruspice; tienne quand je réfléchis aux méthodes, aux motifs, aux chances de distribution; tienne quand je passe en revue tes mots, étudie leur ordre, leur son, leur odeur, leur goût, prenant garde à ce qu'aucun de ces souvenirs ne s'émoussent. À toi.
Rouge à Bleu : Mon humeur indigo
Bleu à Rouge : Cher ciel rouge le matin
Bleu : J’ai été des oiseaux et des branches. J ai été des abeilles et des loups. J ai été l’éther inondant le vide entre les étoiles, enchevêtrant leur souffle en réseaux de chansons. J’ai été poison, plancton, humus, et ils ont tous été moi.
Son sourire est un ciel où s'écartent les nuages ; le retrait de sa main sur ses genoux est un effacement, une chose que la serveuse a certianement imaginée, car cette femme est l'image idéale d'une femme du monde.
Je tremble à l'idée d'une incursion similaire de notre part - que la causalité préserve Commandante de me déployer un jour dans l'un de vos mondes elfiques, touffus, qui bourdonnent sous les branches d'arbres antiques, débordants de fleurs, de pollens neuraux, d'abeilles rassemblant les souvenirs des yeux et de la langue, de bibliothèques de miel dont les rayons suintent de savoir.
Ta torsion à l'intérieur de moi. Ta vrille. Tu es un fouet qui se déroule dans mes veines, et j'écris entre le recul et l'impact.
L'aventure marche dans tous les brins : elle attire tous ceux qui attachent plus d’importance à vivre qu’à leur vie.
L’idée de ton réseau désincarné me révulse, mais je te regarde, Rouge, et me reconnais beaucoup en toi ; un désir d’être seule, parfois, de comprendre qui je suis sans le reste. Et ce à quoi je retourne : la conscience que je considère comme un moi, pur, inéluctable… c’est la faim. Le désir. Le désir de posséder, de devenir, de se briser telle une vague sur un rocher, de se reformer, puis de se briser encore et d’être emportée. C’est un élément indispensable à tout écosystème, mais cette incapacité à être satisfaite dérange les autres. Il est difficile, très difficile de se lier d’amitié quand on désire consumer, de trouver ceux qui quand ils demandent « es tu encore là? », quand ils terminent leur lettre par « À toi », pensent vraiment ce qu’ils disent.
Elle enregistre le blanc du ciel, la morsure du vent. Elle se souvient des noms des hommes qu'elle croise. (La plupart d'entre eux sont des hommes.) Dix ans sous couverture profonde, ayant rejoint la horde, prouvé sa valeur et atteint la place pour laquelle elle s'est battue, elle se sent apte à cette guerre.
Elle s'y est adaptée.