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EAN : 9782354088453
160 pages
Mnémos (14/05/2021)
3.81/5   417 notes
Résumé :
C’est ainsi que nous gagnons.
Bleu et Rouge, deux combattants ennemis d’une étrange guerre temporelle, s’engagent dans une correspondance interdite, à travers les époques et les champs de bataille. Ces lettres, ne pouvant être lues qu’une seule fois, deviennent peu à peu le refuge de leurs doutes et de leurs rêves. Un amour fragile et dangereux naîtra de leurs échanges. Il leur faudra le préserver envers et contre tout.
Les Oiseaux du temps fait partie... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (103) Voir plus Ajouter une critique
3,81

sur 417 notes
Lire c'est rêver, lire c'est rêver de s'envoler...
Pourquoi lisons-nous ? Peut-être simplement pour la beauté de certains textes qui nous mettent en apesanteur. Pour les vertiges qu'ils nous procurent.
J'ai aimé ce livre pour cela, sa différence, son humanité, sa poésie, l'amour aussi qu'il porte en ses pages... J'ai aimé cet amour.
Certains connaissent ma frilosité, pour ne pas dire plus, vis-à-vis des romans de SF. J'y entre parfois comme un pachyderme dans un magasin de porcelaines. Aussi, n'était-ce pas avec une certaine appréhension que j'allais vers ce roman. Mais comme j'adore les oiseaux, - en général sur ce thème je fonce les ailes déployées, je n'ai donc pas regretté ici d'avoir décidé d'aller sillonner au-dessus de ma zone d'inconfort, inconfort relatif car les deux protagonistes sont venues à moi avec la grâce de leurs mots.
Les oiseaux du temps est un court roman de moins de 200 pages qui met en scène deux combattantes appartenant chacune à deux camps ennemis, deux combattantes d'une guerre temporelle sans fin.
Ce sont deux camps qui s'opposent, l'un plus mécanique, l'autre plus biologique.
L'une s'appelle Bleu, l'autre s'appelle Rouge, du moins c'est par ces noms-là qu'elles viennent à nous, qu'elles viennent à elles, qu'elles sont venues à moi. Elles sont les meilleures guerrières de leurs factions. Ce sont deux personnalités, l'une vive et l'autre douce, deux méthodes de combat.
Le hasard n'existant jamais, surtout dans les voyages temporels, elles vont décider de se rencontrer pour notre plus grande jubilation.
Elles se combattent déjà depuis des temps immémoriaux, elles s'épient, elles s'observent, elles finissent par s'admirer.
Elles sont peut-être aussi en guerre avec elles-mêmes.
Un jour, Rouge reçoit une lettre de Bleu... Elles vont alors s'engager dans une longue correspondance par-delà les siècles, à travers les époques et les champs de bataille.
Mais ces lettres ne peuvent être lues qu'une seule fois, car c'est une correspondance interdite, elles sont sous la surveillance et la menace de leur propre camp. Une fois lues, leurs lettres disparaissent.
C'est une amitié qui naît. Ces lettres deviennent peu à peu le refuge de leurs espoirs, de leurs envies, de leurs doutes et de leurs rêves. L'intimité vient plus tard. Ici, plus tard, cela veut dire parfois un an, dix ans, ou parfois cent ans...
Parfois l'amitié est seulement à un battement d'aile de l'amour. Alors, il y a comme un vertige, une ivresse dans ce mouvement de colibri... J'aime ce vertige...
Leurs lettres deviennent de plus en plus personnelles.
Elles vont tout faire pour préserver ce bien précieux tissé par leur relation, elles vont tout faire envers et contre tout.
Un amour fragile et dangereux va naître peu à peu de leurs échanges.
Ce sont des lettres d'une pure beauté, celles qu'on rêve d'écrire, celles qu'on rêve de recevoir, ne serait-ce qu'une seule fois peut-être dans sa vie...
Ce récit m'a surpris, m'a cueilli au vol.
Il m'est difficile de vous définir les contours de ce récit insolite, totalement à part, d'une identité unique. C'est un récit surprenant. Je n'ai jamais encore lu quelque chose qui ressemble à cela. J'y ai vu à la fois bien sûr un récit de fantasy, mais aussi un roman épistolaire, un voyage dans le temps, une gourmandise poétique, une odyssée temporelle, une histoire d'amour tout simplement.
Parfois je me suis un peu perdu dans les entrelacements de l'histoire, mais j'ai compris que ce n'était pas là l'essentiel. J'ai compris que le sens du roman était ailleurs.
Tandis qu'elles s'écrivent, elles traversent les continents et les siècles, parfois c'est un monde à feu et à sang. À la lisière de leurs lettres, il y a des mondes qui s'effondrent sans cesse. D'autres qui recommencent...
Il y a quelque chose qui m'a rappelé l'insolence et la fragilité des héros des tragédies antiques, tels Achille ou Ulysse par exemple.
Il y a aussi les thèmes qui s'invitent autour et dans leurs lettres : la différence, l'altérité, l'humanité, l'amour...
Si l'amitié, c'est entrer dans le coeur de l'autre pour y déposer une île, je suis prêt de nouveau à jeter ma barque sur ce rivage inconnu à découvrir. Je suis prêt aussi à ouvrir mon coeur comme un rivage qui peut recevoir.
J'ai aimé ces lettres, j'ai aimé cet amour, j'ai aimé ce voyage temporel comme le théâtre d'une guerre absurde et infinie où viennent se fracasser les rêves d'amour. Comment ne pas alors y voir un clin d'oeil à l'histoire de Roméo et Juliette dans cet amour impossible ?
Comment ne pas y voir aussi une merveilleuse allégorie de notre monde actuel ?
Parmi les sentiments qui traversent ce roman, une chose m'a paru évidente ici, c'est l'amour, l'amour comme quête mais aussi comme résilience aux malheurs du monde. Et c'est pourquoi ce récit m'a touché en plein coeur.
Il fallait sans doute alors deux plumes talentueuses qui s'unissent pour produire quelque chose qui effleure le sublime Amal El-Mohtar et Max Gladstone. J'imagine qu'ici la traduction est une prouesse.
Parfois le coeur est une volière où gisent des rêves encore à peine éclos.
Lire c'est peut-être alors s'envoler pour de bon...

Je te remercie, Sandrine, de m'avoir donné envie de venir vers ce récit, à tire d'ailes.
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Un roman court écrit par deux plumes Amal El-Mohtar et Max Gladstone qui nous entraine dans une histoire d'amour hors du commun et surtout hors du temps. Un roman qui se veut aussi épistolaire dans sa conception. Un roman charmant et charmeur, envoutant et envouté. Un roman déroutant et dérouté, alternant et alternatif.

« le vent souffle. Il fait froid la nuit en altitude. Les roches aux arêtes saillantes me faisaient mal aux pieds. Pour la première fois en treize ans, j'étais seule. Et quoi que j'aie été, quoi que je sois, je suis d'abord tombée vers le haut, parmi les étoiles, puis vers le bas, vers la terre aride. J'ai creusé le sol. Des oiseaux de nuit ont poussé des cris ; une créature ressemblant à un loup solitaire, mais plus imposante, dotée de six pattes et de deux paires d'yeux superposées, est passée en trottinant. Mes larmes ont séché ».

Deux combattantes d'une guerre temporelle sans fin appartenant à deux camps opposés qui après s'être battues, puis admirées vont tomber amoureuses l'une de l'autre. D'un côté, il y a Rouge une entité bionique et artificielle qui en fait une arme redoutable pour son camp, l'Agence. de l'autre, Bleue qui appartient à Jardin, l'autre camp et qui plus axé sur les armes biovégétales et autres toxines naturelles. Elles se battent chacune de leur côté, d'une façon isolée et autonome, dans l'ombre l'une de l'autre. Leurs deux factions s'affrontent ainsi depuis des temps immémoriaux en voyageant dans le temps afin de modifier l'histoire avec un grand H.

« Remonter les fils du temps vers le passé pour s'assurer que personne ne survivrait à cette bataille et ne contrarierait les futurs prévus par son Agence – des futurs dans lesquels l'Agence règne, dans lesquels Rouge elle-même est possible ».

Et puis un jour, elles se devinent. Elles s'aperçoivent au détour d'une bataille. Elles s'affrontent indirectement en essayant de rectifier les paradoxes temporels qu'elles ont provoqués ou créés successivement. Et là, elles commencent à s'apprécier militairement parlant et une certaine admiration commence à naitre entre ces deux guerrières. Elles vont commencer à correspondre par jeu entre elles au moyen de lettres clandestines. Des lettres à lecture unique qui s'autodétruisent une fois lues. D'un simple jeu, cette correspondance va se transformer en amitié puis en amour.

« Les mots sont des abstractions, qui se détachent de la verdure ; les mots forment des motifs semblables à des clôtures ou à des tranchées. Je peux les cacher tant que je les éparpille dans mon corps : lire tes lettres reviens à cueillir des fleurs en moi, un bouton par-ci, une fougère par-là, à les arranger et à les réarranger pour agrémenter une pièce ensoleillée ».

La force de ce roman de 200 pages réside dans cet amour impossible qui va naitre entre Rouge et Bleue. Une Rouge bruyante, violente, aimante, gourmande et pleine de vie ; face à une Bleue subtile, douce, romantique, enracinée dans ses croyances. La force des deux auteurs est de s'appuyer sur ces différences pour arriver à une harmonie de sentiments amoureux. La férocité de l'une face à l'indulgence de l'autre. La fin de cette histoire ne peut-être que violente et démesurée, et elle le sera à la hauteur de cette liaison.

« Je veux être un corps pour toi. Je veux te pister, te trouver, je veux être évitée, taquinée, adorée. Je veux être vaincue et victorieuse : je veux que tu me coupes, m'aiguises. Je veux boire un thé avec toi dans dix ans ou dans mille. Des fleurs poussent, loin sur une planète qu'ils appelleront Céphale, et ces fleurs ne fleurissent qu'une fois par siècle, quand l'étoile vive et le trou noir qui lui correspond entrent en conjonction. Je veux t'en faire un bouquet, cueilli sur une durée de huit cents ans, afin que tu puisses embrasser d'un regard notre engagement tout entier, tous les âges que nous avons façonnés ensemble ».

Les oiseaux du temps représentent un renouveau dans la littérature de SF. Une originalité qui défie tous les standards du genre. Ils nous tiennent dans leurs ailes du début à la fin, et nous emmènent très loin au-dessus de nos clichés habituels de lecteur. Ce n'est pas pour rien que le roman a obtenu de nombreuses distinctions : prix Hugo, Locus et Nebula en 2020. Un coup de coeur au sens propre comme au sens figuré. Quand la poésie rime enfin avec la Science-fiction.
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Un peu comme le Yin et le Yang, deux oiseaux se font face, un rouge et un bleu.
Moi qui adore les oiseaux, cette magnifique couverture ne pouvait qu'attirer mon regard et mon intérêt.
Après la superbe critique de Patlancien, j'étais impatiente de découvrir à mon tour cette histoire. Je ne suis pas déçue, au contraire, c'est une de mes plus belles lectures de cette année 2021.

Ce roman, récompensé par les prix Hugo, Locus et Nebula, est un tutti frutti de plusieurs genres littéraires. A la fois dystopie, romance, roman épistolaire, roman de science-fiction, de guerre, ce savant mélange en fait un roman insolite et surprenant.

*
Rouge et Bleu sont deux agents appartenant à deux camps rivaux, Jardin et Commandant. Les origines de cette guerre et de cette haine viscérale restent assez imprécises et obscures.

"On nous cultive, ... Nous nous enfouissons dans le tressage du temps. Nous sommes la haie, tout entière, des bourgeons de rose avec des épines en guise de pétales."

Depuis de nombreux siècles, elles s'affrontent, voyageant dans le temps et l'espace pour réécrire L Histoire, tissant de nouveaux brins, se poursuivant le long de différentes lignes temporelles. Aussi audacieuses que dangereuses, faisant preuve d'habileté et d'élégance, elles évoluent comme deux ballerines, leurs mouvements emplis d'une force poétique qui s'harmonisent à merveille.

Par provocation, les deux adversaires vont entrer en contact par l'intermédiaire d'une correspondance.

*
Dès les premières lignes, j'ai été séduite par l'écriture.

« Quand Rouge gagne, il ne reste qu'elle.
Le sang nappe ses cheveux. Elle exhale de la vapeur dans la dernière nuit de ce monde mourant.
C'était amusant, songe-t-elle, mais cette pensée la gêne aux entournures. C'était propre, au moins. Remonter les fils du temps vers le passé pour s'assurer que personne ne survivrait à cette bataille et ne contrarierait les futurs prévus par son Agence – des futurs dans lesquels l'Agence règne, dans lesquels Rouge elle-même est possible. Elle est venue nouer ce brin d'histoire et le brûler jusqu'à ce qu'il fonde.
Elle tient un cadavre qui a été un homme, les mains gantées par ses entrailles, les doigts serrés sur l'alliage métallique de son épine dorsale. Elle lâche prise et l'exosquelette cliquette contre la pierre. Une technologie grossière. Antique. Bronze contre uranium appauvri. Il n'avait aucune chance. C'est la finalité de Rouge. »

*
La construction de récit est particulièrement réussie, mettant en lumière, à tour de rôle, les deux protagonistes.
Entre chaque déplacement de l'une des deux ennemies, s'engage une correspondance.

« On m'enverra assurément défaire les dommages que tu auras causés. Et nous courrons de nouveau, toutes les deux, en amont et en aval, pompier et pyromane, comme deux prédateurs que seuls les mots de l'autre contentent. »

Dans cet échange épistolaire, on voit leurs liens se tisser délicatement, leur méfiance disparaître peu à peu, leur intimité s'épanouir dans le temps, se resserrer amoureusement. Au fil des lettres, elles se livrent davantage pour finir par se mettre à nu.
De cet échange pudique, le lecteur ne peut rester insensible à leurs peurs, leur vie solitaire, leur besoin d'affection.

« Tu m'as aiguisée comme une pierre. Je me sens presque invincible dans le sillage de nos batailles : une sorte d'Achille au pied agile et à la main légère. Je ne me sens faible que dans cet endroit inexistant où nos lettres se mêlent. »

Petit à petit, le lecteur apprend à mieux les connaître et à mieux comprendre dans quel monde elles évoluent. Mais il sent également se profiler une tragédie car cet amour est interdit. Si leur affection était découverte, leur camp les condamnerait à mort.

Ces lettres de toute beauté sont comme des diamants sertis dans la trame de l'histoire.

« Je veux te pister, te trouver, je veux être évitée, taquinée, adorée. Je veux être vaincue et victorieuse : je veux que tu me coupes, m'aiguises. Je veux boire un thé avec toi dans dix ans ou dans mille. »

J'ai particulièrement aimé le support de leurs correspondances. D'une inventivité et d'une poésie incroyable.

"Je t'envoie cette lettre depuis une étoile qui tombe. L'entrée dans l'atmosphère l'entamera, la mettra à l'épreuve, mais ne la fera pas fondre entièrement. J'écris en lettres de feu dans le ciel, une chute qui égale ton ascension."

Mais le style est recherché, imagé, exigeant et demande à être apprivoisé. J'ai mis un peu de temps à entrer dans l'histoire.
Le début du récit est très onirique, chargé en métaphores, au risque de se perdre dans un univers mélancolique trop nébuleux.
Et puis, après le deuxième tiers du texte, la magie opère et lire devient un de ces moments rares de pur bonheur. Les deux récits s'entrelacent subtilement, s'entremêlent amoureusement. Certains passages sont d'une beauté incroyable, envoûtante.

« Je t'aime. Si tu lis ceci, c'est tout ce que je peux dire. Je t'aime et je t'aime et je t'aime, sur les champs de bataille, dans les ombres, dans l'encre qui s'efface, dans la glace qu'éclabousse le sang des phoques. Dans les cernes du bois, les vestiges d'une planète qui s'effrite dans l'espace. Dans l'eau qui bout. Dans les piqûres d'abeille et les ailes des libellules, les étoiles. Dans les profondeurs des bois isolés où j'errais durant ma jeunesse, les yeux levés vers le ciel – et même alors, tu m'observais. Tu t'es glissée rétrospectivement dans ma vie et je t'ai connue avant de te rencontrer. »

Le dénouement est si beau, si romantique, si déchirant qu'il fait oublier les moments de flottement au début du récit.
« … quand je pense à toi, j'ai envie que nous soyons seules ensemble. »

*
Magnifiquement écrit, délicieusement sensuel, délicatement sensoriel, je n'ai pas d'autres mots pour qualifier la force, la poésie et le charme que dégage cette étonnante romance de science-fiction. La beauté de cette histoire m'a touchée, troublée, surprise, transportée. Amal El-Mohtar et Max Gladstone ont eu l'excellente idée d'endosser chacun, le costume d'une des deux combattantes, permettant de discerner dans cet échange de lettres, deux proses, à la fois opposées, reliées et complémentaires dans leur style, tout comme le Yin et le Yang.

« Les oiseaux du temps » ne s'adresse pas seulement aux amateurs de science-fiction. C'est aussi un récit à part qui ne plaira pas forcément à tout le monde par les nombreuses zones d'ombre et l'écriture pas toujours facile à comprendre.

« Les mots blessent, mais les métaphores les relient, comme des ponts, et les mots sont comme des pierres qui servent à construire des ponts, douloureusement arrachées à la terre, mais créant quelque chose de neuf, une chose partagée, une chose qui est davantage qu'un unique Changement. »
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Ce roman m'intéressait depuis que j'ai repéré son titre en VO (This Is How You Lose the Time War), et plus encore quand j'ai su l'idée de base : une version SF épistolaire de Roméo et Juliette avec des personnages post-humains queer sur fond de guerre temporelle. Alléchant!

Bon, j'ai eu du mal à rentrer dedans. Il faut dire qu'on en sait très peu sur le contexte de cette fameuse guerre temporelle, perçue à travers les yeux des deux héroïnes, Rouge et Bleu, pour qui les objectifs finaux de leurs factions respectives (l'Agence et le Jardin) restent plutôt flous – ce qui est assez crédible, quand on y pense. Leurs méthodes pour communiquer l'une avec l'autre, par des messages éphémères qui ne doivent laisser aucune trace dans le temps, est franchement inventive et assez drôle à suivre. Mais j'avoue que le rythme m'a vite paru répétitif (l'une des protagonistes, en mission pour son camp, trouve une lettre, puis on a le contenu de la lettre, puis on passe à l'autre protagoniste qui trouve sa réponse, etc.) Et la forme des lettres elles-mêmes, pour amusante qu'elle soit, me faisait l'effet d'une surenchère presque grotesque et un peu lassante à la longue.

Et pourtant… je ne saurais pas dire où se situait le point de bascule, mais l'ensemble a fini par m'envoûter. L'évolution de la relation entre Rouge et Bleu est très bien décrite et bien rendue par leur échange de lettres. Quelques variations sur le rythme finissent par casser tout doucement son aspect répétitif. Quant à la plume, ou plutôt les plumes, puisque l'histoire est écrite à quatre mains : wow! J'ai souvent du mal avec les styles fleuris et poétiques, d'autant plus quand il s'agit d'une traduction, mais là, elle m'a complètement emportée – même quand je ne comprenais pas tout ce qu'elle racontait. Preuve s'il en faut que la science-fiction n'est pas un genre froid, uniquement tourné vers l'action et dénué d'émotions. Et preuve s'il en faut que la poésie peut très bien prendre la science-fiction au sérieux.
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C'est ainsi que nous avons perdu la guerre temporelle…
Entre les lignes, derrière les mots et les circonvolutions brumeuses du récit, la guerre a bien été perdue.
Pour nous l'expliquer, ce sont deux plumes qui s'unissent et s'hybrident : celle de Max Gladstone et celle d'Amal El-Mohtar.
De cette rencontre entre auteurs/éditeurs va naître un ouvrage unique : Les Oiseaux du Temps (This is How You Lose the Time War).
Une bourrasque de prix plus tard, parmi lesquels les prix Locus et Nebula, et voici que le Label Mu des éditions Mnémos nous le propose en langue française grâce à la traduction aiguisée de Julien Bétan.
Un OVNI, pour une collection qui aime les textes aux confins, un met de choix pour les lecteurs français en quête de choses déroutantes.

Nous étions soldats
Les Oiseaux du Temps, ce sont deux agents d'une guerre temporelle qui dure depuis trop longtemps. C'est un peu le problème quand on joue avec l'horloge et L Histoire, c'est qu'on ne voit plus le temps passer.
D'un côté, Rouge, l'une des meilleures combattantes de l'Agence, une entité protéiforme dirigée par une Commandante jamais nommée et qui cherche à contrôler le temps.
De l'autre, Bleu, l'élite de l'élite de Jardin, autre organisation dont on ne sait pas grand-chose si ce n'est qu'elle aussi veut contrôler et tordre L Histoire pour un but qui ne sera jamais expliqué.
Entre ces deux extrêmes, les soldats temporels s'affrontent en influant sur L Histoire, en assassinant ou en sauvant des gens ou des nations.
Un jour, pourtant, Bleu et Rouge entrent en contact. Par une lettre en cendres ou des cendres qui forment une lettre, difficile à dire.
Une lettre qui va mettre en contact deux ennemis. Une lettre pour titiller la curiosité de l'autre, pour le défier.
Seulement…quelque chose d'imprévu arrive.
Au fil des lettres échangées, les deux ennemis sympathisent.
Pire, ils commencent à s'apprécier puis…à s'aimer.
Mais comment faire pour s'aimer quand on est en guerre l'un contre l'autre ?
En perdant la guerre…ou en la gagnant !?
Question de point de vue.

Couleurs primaires
Articulé autour de lettres qui se répondent et de chapitres courts tantôt à propos de Bleu tantôt à propos de Rouge, Les Oiseaux du Temps entretient la brume narrative à dessein. Et le lecteur devra apprendre à nager pour s'immerger complètement dans ce récit volontairement cryptique.
Gladstone et El-Mohtar entrelacent leur récits, leurs lettres, leurs questionnements. L'un répond à l'autre, l'autre répond à l'un.
En formant un puzzle narratif à priori complexe, les deux auteurs nous offrent en réalité à la fois une histoire d'amour inoubliable mais aussi un univers kaléidoscopique fait de mondes alternatifs foisonnants.
On imagine les réalités comme des brins, chaque brin résultant d'une bifurcation infime de l'histoire. Et la tresse du temps, parcourue en amont ou en aval, imbrique ces brins où l'Agence et Jardin se livrent une guerre sans merci.
Cette guerre, on n'en comprendra guère le sens.
Mais qu'importe ?
Au fond, la guerre a-t-elle jamais eu un sens ?
En lieu et place, Amal El-Mohtar et Max Gladstone choisissent l'humanité, ou une forme d'humanité — car nous comprenons rapidement que nos héros ne sont pas humains, qu'ils n'ont pas de genre ni d'âge — et quoi de mieux pour qualifier l'humanité que son sentiment le plus noble et le plus caractéristique : l'amour.

Ne faire qu'un
Bleu et Rouge vont peu à peu apprendre à s'aimer, à s'apprivoiser, à se sublimer l'un l'autre. Cette relecture de Roméo et Juliette à la sauce temporelle utilise à plein pot la délirante imagination des deux auteurs.
Les deux soldats se croisent au sein des hordes mongoles, dans un lointain futur ou dans un lointain passé, changent le destin des Amériques, retournent contempler les différentes versions de Socrate, chassent le phoque en Arctique… les mondes défilent, touches fragiles d'un tableau impressionniste qui sert de toile de fond sublime à une quête amoureuse d'une force croissante.
Au centre, deux individus qui brisent tout : les camps, les genres, les attentes, les conventions.
Deux individus qui éclaboussent de leur poésie impitoyable le lecteur qui n'est jamais prêt. Les Oiseaux du Temps, dans son style et sa verve, est d'une beauté mortelle, l'une de celle qui envoûte et force à relire plusieurs fois le paragraphe précédent pour en saisir les nuances.
Au caractère mécanique et froid de Rouge et de son Agence, voilà que s'oppose l'organique de Bleu et de son Jardin. D'un côté, une vision lente où l'on enracine une stratégie qui mûrit lentement et de l'autre, l'action rapide et bruyante qui claque comme un fouet.
En mêlant ces deux aspects aux héros eux-mêmes et à l'intrigue principale, El-Mohtar et Gladstone découvrent une troisième voie, quelque part entre la reddition et la victoire, une voie qui transcende le temps et les camps.
Chaque écharde du récit a un but, une finalité cachée qui s'assemble à la fin, qui montre la fusion, la réunion, qui prouve de façon littérale que la somme des possibles est plus fort que la solitude de l'être.

D'une poésie impitoyable, d'une créativité torrentielle, d'une férocité amoureuse qui donne le frisson, voici Bleu et Rouge, deux ennemis devenus amants que vous n'oublierez pas de sitôt.
Fusion magnifique d'intelligence et d'originalité, Les Oiseaux du Temps n'additionne pas le talent d'Amal El-Mohtar et de Max Gladstone, il le démultiplie pour en faire quelque chose de neuf, d'envoûtant et de profondément humain.
Voici l'amour au passé, présent ou futur, quelque part entre l'imparfait et le plus-que-parfait, égaré dans les tresses du temps.


Lien : https://justaword.fr/les-ois..
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critiques presse (2)
Syfantasy
21 juillet 2022
Je ne peux que conseiller grandement à ceux qui aiment les voyages dans le temps et les romance de se jeter sur ce roman !
Lire la critique sur le site : Syfantasy
SciFiUniverse
08 juin 2021
La collection continent Mu continue à nous séduire avec un titre original et poétique : l'échange épistolaire de deux êtres qui transcendent le temps dans une guerre absolue, deux ennemies que tout oppose et dont le rapprochement est la trahison ultime. C'est fin, élégant et émouvant. Foncez !
Lire la critique sur le site : SciFiUniverse
Citations et extraits (77) Voir plus Ajouter une citation
Je mords dans des pancakes aux myrtilles nappés de sirop d’érable, avec un supplément de beurre ; ce moelleux aéré, l’éclatement des baies sous mes dents, le beurre qui fleurit dans ma bouche. J’explore textures et suavités. N’ayant jamais faim, je ne me jette pas sur la bouchée suivante. Je mange du verre et, tandis qu’il entaille mes gencives, je savoure minéraux, métaux et impuretés ; je vois la plage sur laquelle un pauvre type a tamisé le sable. Les petits cailloux ont un goût de rivière, d’écailles de poisson, de glaciers disparus depuis longtemps. Ils croustillent, craquent comme du céleri. Je partage ces sensations avec d’autres aficionados ; ils m’envoient les leurs en retour, même si ça lague et que la granularité des capteurs reste un problème prégnant. Bref, une manière détournée de dire : j’adore manger.
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Je veux être un corps pour toi. Je veux te pister, te trouver, je veux être évitée, taquinée, adorée. Je veux être vaincue et victorieuse : je veux que tu me coupes, m’aiguises. Je veux boire un thé avec toi dans dix ans ou dans mille. Des fleurs poussent, loin sur une planète qu’ils appelleront Céphale, et ces fleurs ne fleurissent qu’une fois par siècle, quand l’étoile vive et le trou noir qui lui correspond entrent en conjonction. Je veux t’en faire un bouquet, cueilli sur une durée de huit cents ans, afin que tu puisses embrasser d’un regard notre engagement tout entier, tous les âges que nous avons façonnés ensemble.
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Elle cherche Bleu. Elle escalade une mangrove qui pousse dans un océan de mercure, des araignées aussi grosses que ses mains lui tombent dessus et chatouillent l’arrière de ses bras, de son cou, avec la légèreté d’une plume. Leurs soies l’interrogent et elle répond à chaque défi par un souvenir de Bleu. Bleu qui tresse des herbes. Bleu qui prend le thé. Bleu, le crâne rasé, qui vient voler Dieu. Bleu qui brandit un gourdin, un rasoir ; Bleu qui enfante des futurs.
Les araignées la marquent de leurs crocs, une manière périlleuse de donner des indications. Mais bien que ce savoir brûle dans ses veines, la femme que devient Rouge ne meurt pas.
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Elle se lève et les brins d’herbe tombent de sa main comme des graines. Elle suit l’hirondelle, la regarde déposer une demoiselle dans le nid avant de s’éloigner.
Elle grimpe, ôte l’insecte des brindilles boueuses, descend d’un bond. Dans le corps en aiguille de l’insecte à damier noir et bleu, elle lit une lettre.
Son attention passe de la demoiselle au désordre qu’elle a causé dans ses pensées, poignées de vert et d’or entassées, inutiles, et elle ne ressent qu’une joie déchirante, tortueuse, quand elle ouvre la bouche pour la dévorer tout entière, ailes comprises.
Des années plus tard, l’ombre d’une Fouilleuse parcourt l’herbe où Bleu était assise. Elle en cueille une poignée, puis se dissout.
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Ma si insidieuse Bleu,
Comment commence-t-on ce genre de choses ? Cela fait bien longtemps que je n’ai pas engagé une conversation. Nous ne sommes pas aussi isolés que toi, pas autant enfermés dans nos propres têtes. Nous pensons publiquement. Nos notions s’informent, se corrigent, s’étendent, évoluent. Et c’est pour cela que nous gagnons.
Même durant les entraînements, les autres cadets et moi nous connaissons comme l’on connaît un rêve que l’on a fait enfant. J’ai salué des camarades que je pensais n’avoir jamais rencontrés, pour découvrir que nos chemins s’étaient croisés dans un coin étrange du cloud, avant que nous n’ayons fait connaissance.
Du coup, je ne suis pas trop douée pour la correspondance. Cependant, j’ai scanné assez de livres et indexé suffisamment d’exemples pour m’essayer à l’exercice.
La plupart des lettres commencent par une adresse au lecteur. Cela étant déjà fait, je peux passer au sujet qui nous intéresse : je suis désolée que tu n’aies pas pu rencontrer le bon médecin. Elle est importante. Plus précisément, la fille de sa sœur le deviendra si elle leur rend visite cet après-midi et qu’elles discutent des motifs récurrents dans le chant des oiseaux – ce qui aura été fait quand tu liras ces lignes. Les ruses que j’ai utilisées pour qu’elle échappe à ton emprise ? Une panne de moteur, un beau jour de printemps, une suite de logiciels trop efficaces et trop bon marché pour être honnêtes, que son hôpital a achetés il y a deux ans et qui permettent au bon docteur de travailler depuis chez elle. Ainsi, nous tressons le Brin 6 et le Brin 9, et notre glorieux futur de cristal brille si fort que je vais avoir besoin de lunettes de soleil, comme dit le prophète.
En repensant à notre dernière rencontre, j’ai préféré m’assurer que tu ne pourrais subvertir un autre rampant, d’où l’alerte à la bombe. Un procédé grossier mais efficace.
J’apprécie ta subtilité. Toutes les batailles ne sont pas grandioses, toutes les armes ne sont pas féroces. Même nous, qui combattons à travers le temps, oublions la valeur d’un mot prononcé au bon moment, d’un bruit dans le bon moteur, d’un clou dans le bon sabot… Il est si facile de détruire une planète que l’on peut négliger la valeur d’un murmure susurré à la neige.
S’adresser au lecteur : c’est fait. Parler de nos affaires communes : fait aussi, ou presque.
Je t’imagine en train de rire en lisant cette lettre, incrédule. Je t’ai vue rire, je crois, dans les rangs de l’Armée toujours victorieuse, tandis que tes marionnettes incendiaient le Palais d’été et que je récupérais ce que je pouvais des merveilleux mécanismes d’horlogerie de l’Empereur. Tu marchais, hautaine et farouche dans les couloirs, pourchassant un agent sans savoir qu’il s’agissait de moi.
Alors j’imagine le feu qui miroite sur tes dents. Tu penses t’être introduite en moi – avoir semé des graines ou des spores dans mon cerveau, quelle que soit ta métaphore végétale préférée. Mais ceci est ma réponse à ta lettre. Nous avons désormais entamé une correspondance. Et si tes supérieurs la découvrent, elle déclenchera une série de questions que tu jugeras, je pense, inopportunes.
Qui infecte qui ? De mon temps, nous savons qu’il n’y a jamais deux chevaux sans Troie. Répondras-tu, instaurant une complicité, poursuivant nos traces écrites autodestructrices, juste pour avoir le dernier mot ? Prendras-tu tes distances, laissant ma note dérouler ses mathématiques fractales à l’intérieur de toi ?
Je me demande ce qui me plairait le plus.
Enfin : conclure.
C’était amusant.
Mes hommages aux vastes membres de pierre sans tronc,
Rouge
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