J'aspirais au désœuvrement complet.
Autant en emporte le vent, Phèdre ou les chansons de Piaf sont aussi décisifs que le complexe d'Oedipe.
Je ne connaissais que la présence ou l'absence.
Souvent, j'avais l'impression de vivre cette passion comme j'aurais écrit un livre : la même nécessité de réunir chaque scène, le même soucis de tous les détails. Et jusqu'à la pensée que cela me serait égal de mourir après être allée au bout de cette passion - sans donner un sens précis à "au bout de" - comme je pourrais mourir après avoir fini d'écrire ceci dans quelques mois.
A partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi.
L'usage que je faisais des oeuvres d'art était seulement passionnel.
Je vivais le plaisir comme une future douleur.
Je ne portais pas ma montre, la retirant juste avant son arrivée. Il conservait la sienne et j'appréhendais le moment où il la consulterait discrètement.
Ainsi, lire dans Vie et destin de Grossman que "lorsqu'on aime on ferme les yeux en embrassant" me portait à imaginer que A. m'aimait puisqu'il m'embrassait ainsi.
Les seules actions où j'engageais ma volonté, mon désir et quelque chose qui doit être l'intelligence humaine (prévoir, évaluer le pour et le contre, les conséquences) avaient toutes un lien avec cet homme.