Et si croire que je suis venue au monde pour écrire était une construction ? Au fil des années ?
Je ne souhaite rien tant qu’une chose : revenir à la solitude, l’anonymat, l’indifférence au monde, retrouver l’indifférence de l’enfance…
Comment définir cette entreprise d’écriture commencée il y a quatre décennies ? Écrire est un présent et un futur, non un passé… Quel titre – qu’on me réclamait – pour la qualifier ? Brusquement, m’est venu, comme une évidence : écrire la vie ! Non pas ma vie, ni la vie, ni même une vie. La vie avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle : le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie, le deuil.
La forme de son livre ne peut donc surgir que d'une immersion dans les images de sa mémoire pour détailler les signes spécifiques de l'époque, l'année, plus ou moins certaine, dans laquelle elles se situent - les raccorder de proche en proche à d'autres, s'efforcer de réentendre les paroles des gens, les commentaires sur les évènements et les objets, prélevés dans la masse des discours flottants, cette rumeur qui apporte sans relâche les formulations incessantes de ce que nous sommes et devons être, penser, croire, craindre, espérer. Ce que ce monde a imprimé en elle et ses contemporains, elle s'en servira pour reconstituer un temps commun, celui qui a glissé d'il y a si longtemps à aujourd'hui - pour, en retrouvant la mémoire de la mémoire collective dans une mémoire individuelle, rendre la dimension vécue de l'Histoire.
Tout le passé est nécessaire pour aimer le présent.
L'écriture, quoi qu'on fasse, "engage", véhiculant, de manière très complexe au travers de la fiction, une vision consentant plutôt à l'ordre social ou au contraire le dénonçant.
"Revivre tout mais sans la douleur. Cette chose là n'existe que dans l'écriture, par l'écriture".
Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l’on éprouve de façon individuelle : le corps, l’éducation, l’appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l’existence des autres, la maladie, le deuil. Par-dessus tout, la vie telle que le temps et l’Histoire ne cessent de la changer, la détruite et la renouveler. Je n’ai pas cherché à m’écrire, à faire œuvre de ma vie : je me suis servie d’elle, des évènements, généralement ordinaires, qui l’ont traversé, des situations, et des sentiments qu’il m’a été donné de connaître, comme d’une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l’ordre d’une vérité sensible.
Il ne s’agit pas d’un reportage, ni d’une quête de sociologie urbaine, mais d’une tentative d’atteindre la réalité d’une époque, - cette modernité dont une ville nouvelle donne le sentiment aigu sans qu’on puisse la définir - au travers d’une collection d’instantanés de la vie quotidienne collective. C’est, je crois , dans la façon de regarder aux caisse la contenu de son Caddie, dans les mots qu’on prononce pour demander un bifteck ou apprécier un tableau, que se lisent les désirs et les frustrations, les inégalités socioculturelles.
Je n'aime réellement qu'écrire, parce que c'est retenir la vie.