On peut faire dire ce que l’on veut aux chiffres, toute superstition n’est qu’un système de bricolage ou l’on gagne à tous les coups.
Quand l’histoire est finie, il faut l’écrire.
La mort de mes parents fut la dernière expérience de mon enfance. Comme ta mort est la dernière expérience de mon adolescence.
Le début de la vie sans toi….
Extrait 4
Puissance invasive de la catastrophe. État de maladie, fièvre, handicap lourd. Une cécité. Un poids de nuit. D'obscurité. Habiter le temps en ses franges (dissout vers ses franges), sa lisière (ses zones grises). (Relisant plus tard cette phrase, je ne sais précisément quel sens lui donner. Cette imprécision a du sens.)
Même la petite boîte métallique de pastilles à la menthe que je découvre au fond de ton sac est d'une belle élégance. Je peux encore récupérer des traces tangibles de tes derniers moments de vie, chercher dans tes poches, y trouver un kleenex, une pièce de monnaie, un reçu, un petit scoubidou qui racontent des épisodes aisément identifiables, datables, les traces de micro-événements, les dernières semaines d'avant la catastrophe. D'avant l'interruption. Par leur action (par l'action de leur inaction), ces indices te font disparaître de la vie, de ta vie si proche encore et déjà si lointaine. Ils fixent ta vie récente dans le temps éternel de l'avant. Ces apparitions sont des disparitions.
Des pellicules de vie en dépôt. En suspens.
Le début de la vie sans toi….
Extrait 3
J'écris pour une raison similaire. Fixer et préciser des événements avant qu'ils ne s'estompent et sombrent dans l’oubli. Au risque ici aussi d’en essuyer la buée qui les auréole, leur donne toute leur épaisseur, leur relief, leur flouté.
Leur poids de vie.
Sur la plupart des photos, ton sourire éclatant laisse apparaître tes jolies
dents. Dans mon cauchemar, j'imagine qu'elles ont dû brûler, au crématorium, comme le reste de ton corps, attaquées par les flammes, agressées sans ménagement, massacrées, réduites en cendre.
Comme tes beaux yeux marron (je disais « tes yeux écureuil ») ont dû fondre dans les 85o degrés du four crématoire.
Mon insondable tristesse enroulée dans mon incommensurable épouvante.
J'écoute beaucoup de musique parce que la musique c'est du temps (tempo), du temps qui passe (un passe-temps) et que l'on a sur ce temps-là le pouvoir de le rejouer, de le recommencer, de (se) le repasser.
Le début de la vie sans toi….
Extrait 1
Le début de la vie sans toi.
L'épreuve de l'absence après l'épreuve de la mort. Et maintenant ?
Ta mort m'a désintégré. Il me faut à présent intégrer cette désintégration. Me reconstruire avec du déconstruit (Osiris).
Aujourd'hui, plénitude, pulsion de vie tout entière mobilisée à la perspective heureuse de ma propre mort. Parce que la mort, de toute façon, nous sauvera de tout (y compris de la mort).