Allons, il faut poursuivre. Ce livre sera son seul tombeau. Même si mon cahier d'écolier à gros carreaux rechigne à la besogne. (p. 29)
Je vais tenter de raconter ce qui s'est vraiment passé. Je sais pourtant que raconter, c'est vouloir retenir un nuage, se remémorer un chant ancien qui s'est tu. Mais dire, c'est parfois tout ce qui reste, lorsque se taire n'est pas encore possible.
(P177)
"Ma mère ne m'a jamais donné la main" C'est Violette Leduc qui écrit.
Je ne savais pas que ma mère était aussi fragile. Qu'elle gardait de son enfance meurtrie des cicatrices indélébiles. Probablement une dépression masquée dont j'avais subi les effets dévastateurs.
Nous ne savions pas, nous étions trop pauvres, trop préoccupés à survivre. Mais je sais aujourd'hui que, si nous avions été "riches", rien peut-être n'aurait été différent. La douleur se moque des comptes en banques. (p. 104)
J'étais heureux et fier d'avoir publié ce livre chez un éditeur exigeant. Je n'écris pas pour devenir riche et célèbre, j'écris simplement parce que moi aussi, je vais mourir. (p. 49)
Mais on écoute peu ses parents. On se croit plus fort que la vie, plus fort que la mort. (p. 65)
Oui, il [père du narrateur-auteur ] est mort et ne se lèvera plus. Il est mort comme il a vécu: sans se plaindre, sans maudire, avec tout son humour, son courage. Qu'il m'a donc fallu du temps pour l'aimer. (p. 200)
Les enfants partis, chacun a eu sa chambre. Je ne suis pas sûr qu'ils s'éloignaient l'un de l'autre. Ils avaient assez mesuré leurs corps dans le quotidien de toutes ces années. Ils n'avaient plus besoin du même lit pour continuer à s'aimer, à supporter l'âge de cet amour. (p. 192)
L'expérience ne sert à rien. Tout s'oublie, ou presque. Vivre, c'est trop souvent attendre demain. Un mieux, un bien, une ouverture, une aventure, comme si l'heure présente ne suffisait pas.
(P27)
Je vais tenter de raconter ce qui s'est vraiment passé. Je sais pourtant que raconter, c'est vouloir retenir un nuage, se remémorer un chant ancien qui s'est tu. Mais dire, c'est parfois tout ce qui reste, lorsque se taire n'est plus possible.
C'est la réunion bimensuelle de ma boîte. Dans une salle surchauffée, des éditeurs médiocres et sûrs d'eux défilent pour nous présenter leurs impérissables bouquins. Pimprenelle, ma directrice commerciale, sourit aux anges. J'ai pour elle de la tendresse. Bien entendu, nous avons tous sur le visage notre masque en carton, un sourire taillé au cutter et notre chiffre d'affaires en bandoulière. Nous sommes des commerciaux et fiers de l'être. Une vraie équipe liée seulement par la convergence d'intérêt, qu'on voudrait nous faire prendre pour de la fraternité. En fait, tous liés à notre solitude, à l'angoisse de ne pas faire le chiffre. Certains compensent par la bouffe, le sexe, l'alcool. Les filles gèrent mieux, mais beaucoup abandonnent le métier une grossesse ou deux.
(P92)