J'ai la chance d'être né avant la télévision, et nous n'avions même pas le téléphone. C'est dire si nous étions libres de notre temps et de nos pensées.
J'aime l'idée de "générations présentes", par opposition à l'image, théoriquement belle mais facilement trompeuse, de "générations futures". Je n'aime en effet qu'à moitié ce slogan. Prendre en compte l'avenir écologique de la planète, bien sûr ! Mais les dites "générations futures" ont bon dos et surtout aucun moyen de contrôler les beaux parleurs qui, dans leurs programmes électoraux ou publicitaires, font gonfler la belle image comme de la barbe à papa ! Je refuse d'appartenir à une génération infirme de son présent : les jumelles permettent de voir loin, mais pas de marcher droit. Le présent ne passe qu'une fois et il ne faut pas le manquer.
..la vie se passe toujours là où l'on est. La difficulté à la ressentir vient de ce qu'en ce monde d'hypercommunication, notre esprit est toujours aspiré ailleurs.
Bien que venant de mondes très différents, marins et montagnards avaient prouvé qu'ils pouvaient mener une expédition en harmonie, comme des instruments d'un même orchestre, dissemblables mais jouant à l'unisson - à condition de savoir s'accorder. Il en va ainsi pour tous les hommes, de tous les horizons.
Ce dont j'avais besoin, c'était d'une expérience qui m'ouvre la poitrine, le cœur, en me confrontant aux éléments naturels dans leur rude vérité.
Avec trois pneus de voiture et quelques planches, on pouvait très facilement construire un radeau présentable. Je me souviens très bien de ma première navigation au fil du courant....et je peux dire qu'elle m'a valu en émotion un départ pour un tour du monde d'adulte.
A Paris, Michel Jaouen a créé le foyer des Épinettes, du côté de la place de Clichy. Sa clientèle n'a jamais été des plus faciles : bien souvent des coeurs d'artichauts à la cuirasse clinquante; de "braves types", comme dit le père, recrutés à la sortie de la Santé ou des autres prisons de la région parisienne.....Michel n'est pas là pour leur servir des coups à boire, mais pour leur montrer la route. Il a l'étoile du berger, le talent du pasteur d'âmes, et passe son temps à mettre en branle toutes ses relations pour trouver du travail à ses "braves gars". Mieux que quiconque, il sait vendre leurs mérites, même quand il s'agit du plus rusé des loubards. Il sait aussi une chose, c'est qu'il suffit parfois d'un rien pour tout faire basculer : une confiance accordée, un sourire, un boulot, un premier salaire, et tout peut repartir. Sinon, c'est le plongeon assuré, le malaise, la casse, la taule, le repentir, et on recommence. La spirale infernale, jusqu'à la déchirure complète
Le long de la route conduisant à la gare, les maisons et les champs qui avaient balisé mon enfance semblaient me montrer un nouveau visage, rieur, aux couleurs de liberté. Ce départ fut un grand moment de jubilation. J'avais l'impression de m'arracher à une immobilité existentielle, qui commençait à m'infiltrer comme les racines du chiendent. Je savais maintenant où j'allais, sans vraiment deviner jusqu'où cela me conduirait.
De toutes les expéditions que j'ai vécues (celle du pôle nord), c'est évidemment celle qui m'a le plus marqué. Elle m'a offert des outils puissants et précieux en ce monde : la notoriété et la confiance, tant en moi même, que dans les autres. Elle m'a aussi initié au chemin qui conduit à l'intérieur de soi, à la découvert de l'autre moitié de sa vie, celle qui se déroule au- dedans de nous. Celle qui nous manipule, à notre insu, si nous n'y prenons pas garde, mais celle aussi qui peut piloter l'ordonnancement de l'âme, quand on se prend à l'explorer jusqu'à l'acceptation de soi.
On dit qu'il faut croire aux choses pour qu'elles arrivent. C'est évident. Rien ne peut pousser si l'on ne sème pas de graine.