Persévérer

J'ai adoré être ce petit homme, léger comme une plume, blotti dans sa nacelle rouge sous un immense ballon blanc. Suspendu au-dessus de la banquise, seul, tout en haut de la planète, j'ai savouré ces longs silences.

Ici, l'espace et le temps sont sans mesure, sans référence, c'est poignant. Cela vous enveloppe l'âme, vous emporte loin.

Je sentais au fond de moi une communion réelle entre ces lieux magiques et notre vie dépouillée.

Nous étions devenus polaires comme on devient marin. Nous vivions en nomades, nous imprégnant des éléments. C'est un apprentissage patient, qui vous façonne l'âme et le regard sur la vie.

Chaque mise en route est porteuse de l'exaltante prophétie du voyage: partir pour provoque l'inattendu.

J'aime écrire. j'aime ce voyage dans mes souvenirs, sur la piste de mes sensations. J'avance, nez au vent des effluves passés, la tête ailleurs - envahie d'images, de voix, de rencontres, de solitude. Je décolle.

Des fragments de ces pages rédigées dans le grand froid me reviennent en mémoire, quand j'écris, bien au chaud devant l'écran de mon ordinateur. J'aime écrire, j'aime ce voyage dans mes souvenirs, sur la piste de mes sensations. J'avance, nez au vent des effluves passées, la tête ailleurs - envahi d'images, de voix, de rencontres, de solitude. Je décolle.
En écrivant, je revis les instants évoqués, je m'y replonge avec intensité et ils me semblent prendre une épaisseur plus grande que lorsque je les ai traversés dans le froid de l'action, la tête rentrée dans les épaules et les yeux fixés sur mon but. A la chaleur ces moments se dilatent, ils reviennent de l'oubli pour vivre une deuxième vie.

J'avais imaginé ce voyage comme une épopée, oubliant que l'existence au jour le jour du "héros" n'est qu'une accumulation de souffrances et de frustrations, que le sublime ne surgit que dans des instants d'une brièveté déchirante, que chaque nouvel obstacle meurtrit l'espérance.
(p.158)

Pour avoir maintes fois résister à la tentation de l'abandon, je m'étais forgé une conviction: il faut persévérer dans son chemin même si la voie est difficile, car le voyage, l'engagement nous transforme. Dans sa brutalité immédiate, la banquise fait fuir, elle déracine le rêve, elle vous renvoie violemment au purgatoire de vos ambitions. Mais la persévérance est rédemptrice, elle conduit à recentrer ses forces, à l'hyper présence, à découvrir un terrain personnel insoupçonné.
Je revenais du pôle avec la perspective apaisante de continuer à inventer ma vie.
(p.111)

Nous avancions lentement où près serré, dans une mer bien creusée. L'eau était noire sous un ciel gris et bas, le vent établi entre 30 et 35 noeuds. Dans les rafales, des filets d'écume blanche s'envolaient à la crête des vagues. Des paquets d'eau glaciale frappaient l'étrave et cinglait à travers le pont, fouettant le visage du barreur comme des gerbes d'épingles plantées à vif dans les joues.
(p.21)